En tant que responsable des départements Haute Couture et Création contemporaine du Palais Galliera Alexandre Samson est un oeil averti de la mode d'hier à aujourd'hui.

2018 il était le co-commissaire de l’exposition "Margiela/Galliera 1989-2009" au musée de la mode de Paris.

En 2019, il est commissaire d'exposition de "Back Side, dos à la mode” au musée Bourdelles qui retient l'attention des afficionados de la mode

Cette année 2023, c'est "1997. Fashion Big Bang" qui créé des émules et réunit les professionnels du secteur autant que le grand public. 

Raison pour laquelle Alexandre Samson est sans doute le mieux placé pour nous donner son avis sur les collections mode pour l'automne-hiver 2023-2024.

Marie Claire : On parle beaucoup de cycles dans la mode, quelle est votre analyse, en tant qu’historien, de la saison prochaine ?

Alexandre Samson : Nous vivons une période inédite, sans précédent et avec des actualités passées par le filtre des réseaux sociaux, devenus le principal médium d’information.

Je ne pense pas que nous soyons au début d’un nouveau cycle mais plutôt dans une période de basculement qui me rappelle, toutes proportions gardées politiquement parlant, ce que l’on a pu sentir dans le milieu de la mode dans les années 40 en France, sous l’occupation allemande.

Les créateurs allaient dans tous les sens, se cherchaient. Une saison, on trouvait des chapeaux immenses, la suivante totalement autre chose.

Les couturiers semblaient fébriles dans leur processus de création.

De Julien Dossena chez Paco Rabanne à Anthony Vaccarello chez Saint Laurent, beaucoup de créateur·rices paraissent s’être tourné·es vers la dimension patrimoniale de leur maison…

Quand un directeur artistique prend une nouvelle direction, il a une chance sur deux de ne pas séduire, ce qui explique beaucoup ce recentrage sur l’héritage.

En dehors de Julien Dossena qui a rendu hommage à Paco Rabanne décédé en février dernier, je trouve que ce désir de se tourner vers le passé n’est qu’une projection réconfortante sur une période antérieure qu’on fantasme meilleure.

Il suffit de lire les articles de presse des époques convoquées pour réaliser que la situation n’était pas idéale !

Ceci étant dit, entre la guerre en Ukraine et les évènements en Chine, le contexte actuel est si tendu que l’on peut comprendre le besoin de réconfort que peut apporter ce repli vers le passé.

En tant que responsable du département Haute Couture, vous avez une connaissance particulière de l’oeuvre de Balenciaga, qu’avez-vous pensé du défilé automne-hiver 2023-2024 ?

Après l’immense polémique (autour d’imagerie pédophile apparaissant dans deux récentes campagnes publicitaires de la maison, ndlr), le directeur artistique Demna Gvasalia a évoqué un retour aux sources.

Avec son tailoring et ses robes fleuries désormais emblématiques de son style, la collection était aussi belle qu’apaisée, présentée dans un décor très classique.

Plutôt qu’une nouvelle direction, elle montrait un désir de recentrage et une volonté de rassurer les clients.

Certains ont été frustrés car ils s’attendaient à l’émergence d’un nouveau cycle ou à des développements particuliers sur la construction ou le savoir-faire de la maison.

Au sujet du retour aux sources, c’est intéressant car Rei Kawakubo a utilisé le même élément de langage pour parler de sa collection pour Comme des Garçons.

Comment évoluent les normes corporelles sur les podiums ?

Ces dernières années, le milieu de la mode a beaucoup parlé de body positivism mais j’ai eu le sentiment cette saison qu’on avait balayé le sujet, qu’on avait oublié tous ces dialogues et ces avancées sur la dictature des corps normés. Beaucoup de filles très maigres sont apparues sur les podiums.

D’une certaine façon, les défilés masculins automne- hiver 2023-2024 déconstruisaient davantage les canons de beauté et la masculinité toxique. Je pense notamment au travail de Louis-Gabriel Nouchi et de Jeanne Friot qui propose une mode non-genrée.

Le défilé Vivienne Westwood rendait hommage à la fondatrice décédée en décembre dernier, trouve-t-on encore des personnalités engagées dans la mode ?

C’était un beau défilé-hommage qui ouvrait avec une silhouette portant un T-shirt à l’effigie de Vivienne Westwood.

Elle était une grande défenseuse des droits avec un bagout fou et chaque collection servait une prise de parole politique.

Elle va beaucoup manquer à l’industrie de la mode où la plupart des créateurs n’osent pas prendre de risques. Surtout les plus jeunes, tétanisés à l’idée de déplaire, de ne pas dire ce qu’il faut, de voir l’épée de Damoclès tomber sur leur collection.

Je comprends mais je regrette ce manque de prises de position. Vu le contexte mondial, c’est une période où il faudrait justement s’exprimer, s’engager.