Tout a commencé par une tendance comme les autres lancée sur TikTok : la "mob wife" ou l'art de s'habiller comme une femme de mafioso, avec d'imposants manteaux en fourrure vintage ou en faux poils pour ressembler à Michelle Pfeiffer dans Scarface ou à Talia Shire (Connie Corleone) dans Le Parrain.
En janvier dernier, le hashtag #mobwifeaesthetics dépassait déjà les 50 millions de vues par semaine sur le réseau social. Puis la tendance a été relayée par les célébrités : Kendall Jenner et Hailey Bieber paradant à Aspen (Colorado) tous pelages dehors, Dua Lipa toute de motif zèbre vêtu. Pour déferler enfin sur les podiums de l'automne-hiver 2024-2025 dans un tsunami de tissus ou de tricots imitant les toisons animales.
On a vu ainsi des manteaux en laine façon ours polaire chez Stella McCartney, des cocons doux comme des lapins chez Chloé, mais aussi des robes en faux vison (Simone Rocha), des motifs léopard, des accessoires : sacs peluche colorés Dries Van Noten, moufles de yéti Louis Vuitton… Retour sur les traces du phénomène.
La montée en puissance du manteau de fourrure
"C'est une fourrure ostensiblement fausse, mais assez provocante, car elle ne doit pas passer inaperçue et même exhiber un certain statut social", explique Justine Hamelin, directrice de la mode femme chez Peclers Paris.
"Avec la tendance "mob wife", cette matière a gagné une image de glamour 141 et de sexy hyper-assumé, de confiance en soi." Pièce phare de l'automne-hiver, le manteau maximalise ainsi l'effet 3D de ses textures duveteuses par des volumes oversize : carrures ultra-larges ou cocon, longueurs rase-poussière, effets de cols géants évoquant l'excès des années 70 et 80.
Pourtant, même si la vraie fourrure devient de plus en plus impopulaire – selon un sondage Ipsos de 2022, 89 % des Français-es sont opposé-e-s à son commerce – et les marques de mode nombreuses à délaisser les vrais poils – Kering, Armani et tout récemment Max Mara ont banni leur usage – pour des fibres synthétiques, son esthétique fascine toujours.
Une pièce précieuse
Il faut dire que depuis des millénaires, la fourrure est un marqueur de pouvoir. En Égypte, les grands prêtres portaient des peaux de léopard et les riches Vikings se drapaient dans celles de castor.
L'hermine a longtemps été associée à la royauté, et dans les années 50, toutes les femmes rêvaient d'un manteau de vison. À l'heure où la mode pousse d'un cran le curseur du "quiet luxury" vers l'élégance ultra-sophistiquée, le poil ne pouvait que revenir dans la course. "La tendance de la fourrure s'inscrit dans un retour aux classiques du glamour, confirme Justine Hamelin. Une pièce en fourrure, c'est comme un diamant qui perdure, un bijou de famille qui se transmet."
Ainsi des cabans en faux vison qui accompagnaient les néo bourgeoises milanaises chez Miu Miu ou des étoles de diva revenues sur le devant de la scène comme un souvenir de la splendeur de Hollywood.
Depuis quelques saisons, Alice Vaillant a intégré la fausse fourrure à ses collections. "J'adore le vison parce qu'il me rappelle ma grand-mère, explique la fondatrice du label Vaillant. Je me souviens très bien du manteau qu'elle conservait dans son armoire. Il ne sentait pas bon, mais donnait une allure folle. La fourrure définit immédiatement une silhouette."
Cette saison donc, cette matière jour les volumes imposants et structurés, inspirés de la couture. Mais opte également pour un minimalisme très 90 dans des coupes épurées, des teintes qui évoquent le véritable pelage animal, notamment celui de l'agneau retourné ou de Mongolie, léger, ondulé, d'une douceur infinie.
"Il y a deux ans encore, la demande était centrée sur la couleur", explique Christopher Sarfati, président d'Ecopel, le fabricant de fausse fourrure français qui collabore avec Stella McCartney et une bonne partie de l'industrie du luxe. "Cette saison, le naturel est à l'honneur. Aussi bien au niveau des teintes que des fibres", ajoute-t-il.
Car si 2,50 mètres de polyester recyclé peuvent désormais produire la même chaleur que 50 peaux de vison, sans nécessiter d'eau et en utilisant des colorants végétaux, les produits intégrant du maïs, du chanvre ou du lin, plus écologiques que le synthétique, se développent. "C'est le futur", confirme Christopher Sarfati. Une manière de réactiver le désir pour cette matière ancestrale, sans mauvaise conscience ?
Pour lui, au-delà de l'image du luxe, notre fascination pour la fourrure s'explique surtout par sa beauté, son côté cocooning : "On a envie de s'y lover tous les jours comme les animaux. Je pense que cela correspond à notre nature profondément tactile", analyse-t-il. Ainsi, les effets de textures poilues les plus sophistiquées n'en finissent pas de coloniser les vêtements. La plume joue les faux-semblants mammifères chez Saint Laurent, tandis que chez Alexander McQueen, la laine aux airs de fourrure semble jaillir sous les tailleurs et dans les interstices des jeans.
Car "cet animal qui sommeille en nous est parfois viscéral", témoignait Seán McGirr, le nouveau directeur artistique de la maison britannique.
Passion poil
Le poil serait-il une manière aussi de se reconnecter à nos instincts les plus primitifs ? Dans une époque traversée par les conflits, mais aussi dominée par le virtuel, la fourrure semble ainsi à la fois une protection et un appel à la relation, à la caresse. C'est le message de séduction que transmettait Nicolas Di Felice en imaginant chez Courrèges de grands manteaux noirs portés sur une jupe et un soutien-gorge, parfois même mélangés à du cuir.
Car sous la fourrure, il y a souvent la peau. Cette saison en effet, les créateurs l'associent avec des robes, du denim, mais aussi des nuisettes, de la lingerie, les poils animaliers jouant les "safe place" d'une féminité ultra-sexy mais active. "Même s'ils ont l'air visuellement de peser 300 kg, prévient Alice Vaillant, les manteaux sont légers, car pensés pour les femmes qui bougent. Grâce à leurs traitements imperméables, ils peuvent également supporter la pluie." Et même la machine à laver.
“On a envie de tous les jours comme les Je pense que cela correspond à notre profondément tactile.” Christopher Sarfati, président d'Ecopel
Un luxe qui reste donc abordable et facile à vivre. Si les plus incertain-e-s se contenteront d'un col ou de poignets en fausse fourrure discrets, voire d'un accessoire amusant, les autres pourront piocher dans l'offre pléthorique de matières synthétiques, ou même dans le vintage.
"Comme cette tendance s'inspire beaucoup de la mode des années 80 et 90, il est facile de l'adapter en allant chiner des pièces en vrais poils dans des friperies", explique Justine Hamelin. "Beaucoup considèrent qu'il est vertueux de réutiliser un vêtement qui aurait fini à la poubelle." En effet, de plus en plus de labels s'engouffrent dans cette démarche, à l'instar de Nereja Studio et son magnifique travail autour de l'upcycling de vêtements en vraie fourrure ou de Nour Hammour qui recycle des peaux utilisées par l'industrie agroalimentaire.
La tendance, en tout cas, n'est pas près de s'arrêter puisque le printemps-été prochain proposera des versions légères et boho chic.
En attendant, on pourra s'offrir une pause moins régressive qu'il n'y paraît en courant voir l'exposition sur l'ours en peluche au musée des Arts décoratifs de Paris... pour tous les amoureux-euses de la nature animale.