Auréolée d'un BAFTA Award pour la création des costumes de la série We Are Lady Parts et d'un trophée BIFA pour les costumes de The End We Start From, PC Williams a un don. Celui d'utiliser la mode pour reproduire un monde réel dans les productions fictives qui lui sont confiées.

Pour la première fois de sa carrière, la costumière britannique et ancienne élève de la prestigieuse Central Saint Martins School a eu la responsabilité de signer les costumes d'une personnalité qui a réellement existé et est, en outre, entrée dans la légende : Amy Winehouse.

Périlleux semble le challenge de (re)constituer la garde-robe ô combien singulière de la chanteuse décédée tragiquement le 23 juillet 2011, ici incarnée à l'écran par la comédienne Marisa Abela.

"Il aurait été fou de refuser un tel projet, car il s'agit d'une occasion extraordinaire de raconter une histoire très importante" nous avoue la chef-costumière du biopic prêt à rencontrer son public.

Un melting pot de fulgurances créatives et de faits historiques naît du travail que signent PC Williams et ses équipes au service du film Back to Black. Un joyeux mélange qui ne manque pas d'atteindre son but, ravivant avec brio l'allure atypique de la reine anglaise de la Soul.

Rencontre avec PC Williams, costumière de "Back to Black"

Back to Black de la réalisatrice Sam Taylor-Johnson se présente comme un biopic musical, avec en son coeur, la vie d'Amy Winehouse racontée à travers les paroles de ses chansons issues de l'opus culte Back to Black.

Outre son oeuvre qui résonne encore aujourd'hui avec la même puissance, son histoire d'amour passionnée mais toxique avec Blake Fielder-Civil se voit elle aussi écorcée à l'écran.

À grand renfort de tenues rockabilly, glamour, parfois inventées, recrées, et dans d'autres cas même tirées du vestiaire de la garde-robe d'Amy Winehouse, la personnalité de la chanteuse se dévoile sous les yeux des spectateurs à qui l'on a promis un biopic pas comme les autres.

Les nombreux costumes arborés par Marisa Abela à qui revient le rôle principal nous plongent dans les années 2000. Ils se veulent partiellement discrets, à la manière de personnages secondaires, mais provoquent nostalgie et joie quand à des moments-clés du film on reconnaît les silhouettes iconiques portées jadis par Winehouse.

Jupe-short blanche destroyed, créoles fantaisie, et mini-robes d'inspiration 60's... Les costumes pensés par la chef-costumière qui se dit "obsédée" par l'interprète de Rehab ravivent nos souvenirs d'une mode des années 2000 où les gardes-robes de chacun ressemblaient plus des inventaires qu'à des moyens d'exprimer sa singularité, et où l'allure extraordinaire de la londonienne sortait donc forcément du lot.

Entretien avec celle qui signe les costumes du film Back to Black.

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PC Williams : "c'est la vision collective que l'on se fait d'Amy Winehouse que nous présentons à l'écran"

Copyright Dean Rogers © STUDIOCANAL SAS

Marie Claire : Qu'est-ce qui vous a excité à l'idée de réaliser les costumes pour le biopic Back to Black ?

PC Williams : La musique. J'adore la musique d'Amy Winehouse, il était donc très important pour moi de concevoir les designs en me servant de sa musique comme d'une sorte de catalyseur.

Marie Claire : Parlez-nous du processus de création des costumes pour le film. Par où commencez-vous et vous êtes-vous aidé de vidéos de concerts ou d'interviews d'Amy Winehouse ?

J'ai passé en revue tellement d'images, de vidéos de performances qu'elle a donné dans de petites salles à l'époque du disque Frank, et des performances open mics jusqu'aux grands shows comme Glastonbury ou Shepherd's Bush Empire.

C'est une artiste qui a été beaucoup documentée, en particulier à sa période Back to Black. Trouver les archives à partir desquelles créer ne relevait donc pas d'un défi.

Ce qui était vraiment amusant pour moi, c'était de regarder la Amy de l'ère Frank et de trouver l'imagerie pour cette Amy-là car cette époque est beaucoup moins documentée. On a pu en quelque sorte essayer de comprendre son ADN stylistique pour créer des tenues basées sur ça alors que pour Back to Black, on a eu une approche purement cinématographique.

Par moments, il n'était pas question de changer ce qu'Amy portait lors d'événements précis car ses looks étaient iconiques. Mon équipe et moi avons donc tenu à rendre hommage à ces moments-là.

Tout était question de trouver un équilibre entre recréé une tenue et concevoir quelque chose de nouveau.

J'avais avec moi une équipe vraiment formidable dans le département des costumes et tous s'avèrent être des fans d'Amy Winehouse. La vision que chacun d'eux a d'Amy m'a permis de réaliser que tout le monde possède dans son coeur et son esprit sa vision propre de la chanteuse, et ce n'est pas seulement ma version mais la vision collective que l'on se fait d'Amy Winehouse que nous présentons à l'écran.

L'imprimé léopard, le pied-de-poule et la coiffure ruche : c'étaient les codes signature d'une artiste évoluée

Amy Winehouse est souvent résumée à ses looks rockabilly et sexys. Dans la bande-annonce en revanche, on repère des tenues streetwear et grunge. Pourquoi aviez-vous à coeur de mettre en lumière cette autre facette de son style et de sa personnalité ?

J'estime que c'était important. L'imprimé léopard, le pied-de-poule et la coiffure ruche : c'étaient les codes signature d'une artiste évoluée. Avant cela, il y a une toute autre facette d'elle et je pense qu'il était vraiment important que nous la reconnaissions à l'écran, que nous mettions en avant son côté londonien.

Il existait une soirée à Londres appelée Xoyo où elle avait l'habitude d'aller, à Notting Hill. Des personnalités comme Yasiin Bey et Kanye West y passaient, c'était une soirée hip-hop londonienne et elle avait coutume de s'y rendre.

Cette culture de la rue faisait partie de sa culture. Ne pas inclure ces éléments dans ses costumes, ce serait comme desservir sa personne.

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Des costumes à l'image de la regrettée Amy Winehouse

Dean Rogers © STUDIOCANAL SAS

La vie tragique d'Amy Winehouse a marqué les esprits. Sa descente aux enfers a été suivie presque en temps réel par des paparazzis effrontés et la presse ne l'épargnait pas, ce qui explique qu'encore aujourd'hui le public tend à vouloir protéger sa mémoire. Avez-vous par moments ressenti une certaine pression à l'idée de travailler sur un tel projet ?

Je savais que je pouvais faire du bon travail, je savais que j'avais les bonnes personnes autour de moi pour créer des costumes exceptionnels qui seraient bons pour ce personnage, mais il y avait le risque de ne pas plaire à tout le monde. J'ai dû faire abstraction de l'opinion de chacun.

Cela arrive que la pression et l'anxiété nous engloutisse mais il faut savoir qui on est en tant que designer. Je sais ce que j'apporte à ce projet en tant que costumière, j'ai une certaine compréhension de l'époque racontée dans le film parce que je l'ai vécue et je pense comprendre le personnage d'Amy Winehouse parce que j'étais obsédée par cette femme.

J'ai aussi un certain niveau empathie en tant que femme de 38 ans que je n'avais pas nécessairement lorsque j'avais 22 ans. Ça me permet de voir sa vie sous un angle différent.

Toutes ces choses m'ont permis de réaliser que je pouvais concevoir les costumes de Back to Black.

Cette garde-robe est un mélange très agréable d'exactitude historique et d'authenticité créative

Le style d'Amy Winehouse nous renvoie instantanément aux années 2000. À quel point était-ce excitant pour vous de vous replonger dans cette période-là de la mode ?

Soyons honnêtes, le début des années 2000 était une période horrible pour la mode. On avait des vêtements de mauvais goût et je ne sais pas pourquoi on portait ce que l'on portait à cette époque. Mais c'était vraiment une bonne occasion d'examiner tout cela.

Quand je regarde des photos de moi sur Facebook datant de 2004 ou 2005, dans ces eaux-là, je me demande "mais pourquoi tu portais ce jean ? Ton derrière sort pratiquement du pantalon. C'est horrible !".

Pour autant c'était amusant de parcourir un entrepôt rempli de vêtements de l'époque, d'habiller des personnes avec et d'avoir l'impression de retourner à l'époque où je sortais de la Saint Martins (école où elle a étudié, ndlr) pour aller prendre un café.

Lorsque j'arrivais sur le plateau du film et que je voyais le travail accompli par l'équipe, je me disais "nous avons réussi notre mission". On se croyait de retour dans cette époque. Les ceintures, les jeans, les vestes, les chaussures, les bijoux...

Autant je suis fière des costumes d'Amy, autant je suis probablement encore plus fière de la façon dont nous avons réussi à rendre ce monde cinématographique réel.

On doit dire qu'avec ces costumes vous parvenez à nous rendre nostalgique de la mode des années 2000 qui est pourtant décriée...

Il est possible que vous pensiez à cette période avec un sentiment de nostalgie, mais quand moi je regarde en arrière, je me dis "mon Dieu, ce n'était pas une bonne époque pour nous".

Aujourd'hui, nous sommes plus connectés grâce à Instagram, à Tik Tok et à toutes les plateformes de réseaux sociaux mais je pense qu'il y a plus d'espace pour l'individualité de nos jours qu'il n'y en avait 20 ans en arrière.

Selon moi c'est probablement la raison pour laquelle le style d'Amy [Winehouse] s'est tellement démarqué dans les années 2000, parce que tout le monde ressemblait à tout le monde. Exceptée elle.

Comment avez-vous achevé de trouver un équilibre entre la fiction et les faits réels de la vie d'Amy Winehouse ?

Lorsque vous créez pour l'écran, vous devez penser aux lumières, au décor, et à bien d'autres choses que vous n'avez pas à prendre en compte dans la vraie vie.

Les performances d'Amy Winehouse sont tellement emblématiques, comme celle de Sheperd's Bush Empire (2007, ndlr), qu'on ne peut pas trop s'en écarter alors il faut penser au fait qu'elles seront vues sur grand écran, sous des lumières très intenses, et doivent être réalistes.

Pour la robe de la performance donnée à Sheperd's Bush, nous avons utilisé un tissu pailleté déjà texturé, puis nous l'avons cristallisé. Les détails sont parfois voyants, parfois non, mais je pense que cela lui donne une certaine dimension.

Pour la robe iconique d'Amy Winehouse à Glastonbury ? Aussi incroyable que soit la robe originelle, elle est aussi très lourde et d'une seule couleur. Je voulais donc évoquer l'esprit de cette robe tout en créant notre propre version.

La couleur de la base et le tulle sont donc de deux couleurs différentes. L'embellissement floral est fait de deux bleus avec un soulignement argenté pour que quand la lumière le frappe, il se créé quelque chose dans les yeux du spectateur.

Et puis, pour les scènes centrées sur la vraie vie d'Amy Winehouse : il y a des moments que je tenais vraiment à recréer.

Je voulais m'assurer d'avoir au moins deux ou trois tenues qu'Amy portait réellement et j'ai travaillé avec ce qui restait de sa garde-robe, Mitch (le père d'Amy Winehouse, ndlr) m'a permis de le faire, et nous avons donc eu quelques vêtements pièces d'Amy que Marisa Abela porte à l'écran. C'est un de ces très beaux moments qui me fait dire que la boucle est bouclée. 

Ensuite, il y a des scènes pour lesquelles nous nous sommes dits : "Ok, c'est le genre d'esprit dans lequel elle était à l'époque, alors qu'est-ce qu'on veut concevoir et fabriquer pour ça ?".

En somme, cette garde-robe est un mélange très agréable d'exactitude historique et d'authenticité créative qui m'a permis de concevoir quelque chose de nouveau tout en évoquant le sentiment de cette époque et de son style à cette époque.

Quelles sont ces pièces appartenant à Amy Winehouse que l'on aperçoit dans le film ?

Marisa [Abela] porte le gilet rose d'Amy Winehouse dans la scène où elle et Blake se séparent pour la première fois. Elle porte également la veste rose Pink Ladies d'Amy Winehouse sur laquelle est brodée à la main "Amy Woo" qu'elle portait pendant son voyage à New York.

Vous avez créé des costumes qu'on a vus dans des spots publicitaires, dans des séries télévisées ou encore dans des clips musicaux. C'est la première fois que vous travaillez sur un biopic...

C'est vrai. J'ai conçu une émission de télévision intitulée Lady Parts, qui raconte l'histoire de quatre femmes musulmanes dans un groupe punk alors j'ai déjà travaillés sur des projets narratifs basés sur la musique, mais c'est la première fois que je conçois un projet basé sur une personne qui existe déjà ou qui a existé.

Ce film m'a permis d'apprendre dans quelle mesure un costumier peut être créatif et à quel point un costumier doit faire preuve de retenue parfois.

Cet équilibre, cette corde raide, est probablement la plus grande leçon que j'ai tirée de la réalisation de cette œuvre.

3/3

Les looks iconiques d'Amy Winehouse adoptés à l'écran par Marisa Abela

Dean Rogers © STUDIOCANAL SAS

Quels sont vos looks préférés dans le film et pourquoi ?

Pour ce qui est de l'ère Frank, j'adore la jupe en jean associée à la veste adidas à manches courtes qu'elle porte avec des bottes. Il y a tellement de photos de presse d'elle portant cette veste que c'est incroyable que nous l'ayons reproduite aussi bien.

J'aime aussi beaucoup la robe du concert à Glastonbury. D'ailleurs tout ce qui concerne cette journée de tournage me fait sourire, et ma séquence préférée à l'écran est celle où Marisa [Abela] quitte la maison de Cynthia Winehouse après le décès de cette-dernière et qu'elle porte son canari dans une cage.

C'est un plan où on l'a voit de dos avec cette coiffure en forme ruche et on dirait presque qu'elle porte un costume Thierry Mugler de par ses hanches exagérées.

C'est une très belle image et je pense qu'elle est iconique mais il y a tellement d'autres choses que j'aime et je veux que less spectateurs les aiment aussi.

L'histoire tragique de la chanteuse touche le coeur du public. À l'écran, quelles émotions vouliez-vous transmettre à travers ses choix vestimentaires ?

Je ne veux pas forcer les gens à ressentir quoi que ce soit.

Ce que j'ai voulu, c'est de faire partie d'un groupe de personnes qui présente une histoire qui va vous toucher quoi qu'il arrive parce que cette histoire est racontée à travers les mots qu'Amy Winehouse a écrits et que vous ne pouvez pas écouter une chanson d'Amy Winehouse sans ressentir quelque chose.

La musique est à la base de tout et les costumes s'alignent sur la musique

Ce dont je suis fière avec les costumes, c'est qu'ils ne crient pas "regardez-moi, je suis un costume !".

Ils font partie de l'histoire mais ils ne disent "je veux être la star de l'histoire". La musique est à la base de tout et les costumes s'alignent sur la musique.

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