C’est en pleine Fashion Week parisienne que le jugement est tombé. Jeudi 28 septembre 2023, le tribunal de commerce de Marseille a décidé de placer Minelli en redressement judiciaire, menaçant de fermeture définitive l’enseigne de chaussures française.
Fondée en 1973, la marque phare des années 90-2000 qui n’emploie plus que 500 salariés à travers 120 boutiques et corners dans l’hexagone doit ainsi “préparer la cession à un nouvel actionnaire, pour garantir une poursuite d’activité la plus efficace possible”, a expliqué un communiqué de la direction.
Un nouveau coup dur pour Minelli qui, début 2022, avait déjà été repris par les dirigeants de l’enseigne marseillaise San Marina… elle-même liquidée en janvier 2023.
Le même tribunal de commerce avait alors estimé qu’ "aucun projet de reprise sérieux n’a pu être soutenu et (que) les dirigeants actuels n’ont pu faire aboutir leur projet d’offre de réserve, faute d’investisseur".
Ce sont alors 650 salariés qui, presque du jour au lendemain, s’étaient retrouvés sans emploi. Lancée en 1981 dans les Bouches-du-Rhône, San Marina rejoignait ainsi la longue liste des enseignes de chaussures et de prêt-à-porter qui, après avoir bercé notre enfance et notre vie de jeune adulte, disparaissent -presque- sans crier gare.
Les autres victimes de cette hécatombe sans précédent ? Naf Naf qui, placée en redressement judiciaire depuis début septembre 2023, a dû fermer d’un coup 21 de ses boutiques, tout comme Kookaï qui devrait en fermer une trentaine ou encore Pimkie, qui en mars dernier, annonçait son intention de se séparer de 64 points de vente et de 250 salariés à travers la France.
Quant à Camaïeu, l’enseigne du Nord de la France fermait définitivement ses portes en octobre 2022 après presque plus de 40 ans d’existence.
Alors pourquoi une telle crise vient subitement ravager des marques ancrées si durablement dans le paysage économique français ?
Le covid, un coup fatal pour les marques en difficultés
Première cause de ces fermetures à la chaîne ? La pandémie de Covid-19. Considérés comme non-essentielle durant les confinements à répétition, les magasins d’habillement ont subi de plein fouet les conséquences des fermetures à répétition, a fortiori lorsque ces enseignes disposaient d’un modèle économique fondée sur la distribution physique, à l’image de Camaïeu et ses quelque 511 boutiques.
Problème ? Malgré un retour à la vie normale, et une progression respective de 8,2% et de 3,9% en 2021 et 2022 des ventes d’habillement en France (source : observatoire économique de l'Institut français de la mode), le niveau d’activité n’est pas encore revenu à celui de l’avant-Covid. Sur les six premiers mois de 2022, les ventes ont baissé de 5 % par rapport à 2019 selon le panel Retail Int de l'Alliance du commerce.
L'activité des magasins a chuté pour sa part de 9 %. Problème ? Le secteur du prêt à porter n’a pas attendu une pandémie mondiale pour doucement (mais surement) décliner.
En 2019, déjà, les ventes reculaient pour la 11e année consécutive (-1,3 % sur un an) et le site spécialisé Fashion Network remarquait que la fréquentation "baissait de l'ordre de 2 ou 3 % par an depuis une dizaine d'années". Une diminution qui peut paraître anecdotique mais qui témoigne de la crise systémique que subit le secteur, et plus particulièrement le prêt-à-porter moyen de gamme.
Un changement dans nos manière de consommer la mode
Et pour cause, avec la crise du Covid, le rapport au vêtement et au shopping n’a cessé d’évoluer, et parfois de manière radicale.
Outre une baisse de fréquentation des points de vente imputable à la généralisation du télétravail (entre 30 et 40% selon l’association des commerçants Procos), les professionnels du secteur font remarquer que les Français tendent à privilégier la qualité sur la quantité et à raisonner leur mode de consommation, en privilégiant notamment la seconde main.
C’est ainsi que depuis 2020, des sites d’achat et revente en ligne comme Vinted ont complètement monopolisé le marché, avec près de 20 millions d’utilisateurs.
Selon le dernier rapport de thredUP, réalisé en partenariat avec le cabinet d'analyse Global Data, le marché de l'occasion a augmenté de 28% en 2022, avec une croissance trois fois plus rapide que celle du marché de l’habillement neuf depuis la crise du Covid.
Un comportement qui s’explique notamment par une crise économique et une inflation sans précédent, le prix accessible de la seconde main restant le critère numéro 1 pour 72% des sondés contre les 38% qui le font pour des raisons écologiques.
Et si l’on aurait pu croire que Camaïeu & co aurait été plus que jamais pertinent dans ce contexte de perte de pouvoir d’achat, c’était sans compter la concurrence ultra-agressive des mastodontes de l’ultra fast-fashion, comme Shein ou Boohoo, qui viennent ravager le secteur avec une offre constante de produits tendances à prix indécemment bas, relayées en flux constants sur les réseaux sociaux. Difficiles de faire le poids.
San Marina, Naf Naf... Des décisions managériales fatales
Et si l’augmentation des coûts de l’énergie, des matières premières ou encore des loyers commerciaux n’a certainement pas dû aider à rester dans le vert, la question de la gestion de certaines de ces entreprises n’a pas manqué de susciter certaines interrogations.
Chez San Marina, par exemple, on déplore "?un vrai manque de communication, pas de prise en compte des remontées du terrain, des choix de la direction qui s'éloignent de l'identité de San Marina". Les salariés évoquaient aussi "un niveau de prix qui s'est envolé bien avant l'inflation", ainsi qu'une "absence de rénovation des magasins".
Quant à Naf Naf, les délégués syndicaux dénoncent "une mauvaise gestion de l’entreprise" avec des dépenses très importantes engagées ces trois dernières années, "sans rapporter d’argent" et qui auraient conduit à des salaires non-payés.
Enfin, Chez Camaïeu par exemple, on peine encore à comprendre comment l’entreprise, délestée de ses créances au moment de sa reprise en 2000 par l’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon, s’est retrouvé deux ans plus tard avec une dette de 250 millions d’euros tout en ayant dégagé 228 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021, comme l’a souligné le tribunal de commerce de Marseille ?
Selon un représentant syndical interviewé par Les Echos en juillet, le nouveau dirigeant aurait "négligé l'entreprise pour racheter (...) à tour de bras d'autres entreprises en difficulté qu'il a fallu, là aussi, consolider".
Pourtant tout ne semble pas perdu. Racheté par Celio en décembre 2022, Camaieu serait de retour pour septembre 2024. C’est du moins ce qu’annonçait nulle autre que l’influenceuse star Léna Situations dans une vidéo diffusée sur YouTube le 11 septembre dernier, décrivant au passage une offre d’emploi alléchante, celle d’un.e futur.e "boss de la com" qui pourra faire renaître de ses cendres l’enseigne française.
La mode de notre enfance n’a peut-être pas encore dit son dernier mot !