Fabrique à rêves, ruche pilotée par des artisans au talent monstre. Cela fait près de 180 ans que Cartier enrichit ses précieuses collections joaillières et horlogères.

Rencontre avec un homme de la maison qui en connaît tous les secrets.

Marie Claire : Vous êtes en charge du patrimoine de la maison Cartier. En quoi cela consiste-t-il ?
Pierre Rainero : Le patrimoine, ce sont d’abord les archives, qui datent des débuts de la maison et sont colossales : il s’agit des informations permettant de retracer la création, la production et la commercialisation de nos pièces. Donc des livres de comptes, des dessins, des photos, des catalogues, des campagnes publicitaires, des croquis d’architecture, etc.

Depuis Louis Cartier, qui a dirigé la maison de 1898 à 1942, nous gardons ce que le monde extérieur renvoie de nous : la présence dans la littérature, dans le cinéma, dans les médias... Outre les archives, Cartier déploie ce qu’on appelle "la Collection", initiée en 1983 à des fins d’enseignement et de partage, et qui contient quelque 3 500 pièces.

Parmi elles, pouvez-vous en citer une qui vous touche en particulier ?
J’évoquerais une broche que Jacques Cartier, membre de la troisième génération de la famille, a commandée pour sa femme Nelly, en 1933. Elle est stylistiquement intéressante, car géométrique : c’est une améthyste entourée de quatre coins de diamants bordés de saphirs calibrés. Cette pièce moderniste touche à ce que la joaillerie a de singulier : les précieux moments de la vie que l'on rend éternels.

L’améthyste est la pierre de naissance de Nelly Cartier [chaque mois de l’année est associé à une pierre, ndlr]. Ils ont eu quatre enfants, d’où les quatre diamants. Et la modestie de Jacques Cartier tient dans le petit ourlet de saphirs, sa pierre de naissance à lui.

Quelle est votre apparition cinéma préférée ?
Une scène que j’adore dans Le ciel peut attendre, d'Ernst Lubitsch, en 1943. Un de mes films préférés, car sa vedette, Gene Tierney, est d’une beauté et d’une élégance extraordinaires.

On n’y voit pas de bijou mais... une facture ! L’héroïne trouve, dans la poche du manteau de son mari, la facture d’un bracelet de diamants dont elle n’a jamais vu la couleur, si j’ose dire. Elle est montrée en plein écran, avec les blasons des familles royales dont nous étions fournisseurs à l’époque. Le mari se défend de toute tromperie. Et le personnage de Gene Tierney répond : "Cartier never makes a mistake" ("Cartier ne se trompe jamais", en français). Cette scène raconte l’essence de la relation entre un joaillier et son client. Une maison de joaillerie ne serait rien sans la confiance – et le secret en fait partie.

Comment faire vivre le patrimoine et toucher des générations plus jeunes ?
Le travail de la main, et plus largement tout ce qui nécessite du temps, de l’expérience, du talent, de la sensibilité, sont extrêmement valorisés à notre époque. Par ailleurs, nous touchons le grand public par des expositions monographiques dans les plus grands musées du monde.

La première s’est tenue au musée du Petit Palais en 1989 et, depuis lors, on en compte plus de quarante, du Metropolitan Museum of Art à New York, au British Museum à Londres ou à la Cité interdite à Pékin. Les conservateur-rice-s de musée ont à l’esprit l’existence de notre collection et ce qu’elle véhicule en termes artistiques.

En quoi la joaillerie est-elle un art ?
Cette dimension est trop peu valorisée, y compris dans les écoles d’art. La joaillerie est pourtant une force de proposition majeure dans l’évolution des formes.

À l’époque de l’art nouveau et de l’art déco, elle fut centrale par une recherche formelle exigeante. Chez Cartier, on s’est interrogé sur l’abstraction avant même le cubisme. L’exposition "Cartier et les arts de l’islam", qui a voyagé du musée des Arts décoratifs à Paris au Louvre Abu Dhabi et à Dallas, montrait comment les arts de l’islam ont représenté une facette de la modernité du XXe siècle en Occident. Elle a rencontré un vif succès.

À nous de continuer à échanger avec les musées, sans nous substituer à leur travail scientifique, bien sûr.

La maison Cartier fait-elle partie de la pop culture, selon vous ?
Oui, et c’est une immense satisfaction. Notre mission est de proposer de beaux objets, mais pas pour qu’on les pose sur des étagères : pour que nos contemporain-e-s aient envie de les porter ! Nous ne sommes pas des psychosociologues, mais cherchons à comprendre les modes de vie.

Comment maintenir un lien d’intimité entre une maison et ses client-e-s ?
Par la confiance dans la qualité du savoir-faire et dans l’innovation. Et par le fait que l’on est au cœur de l’intime, dans la célébration des enfants, des anniversaires, du couple... Je pense au film Maria, de Pablo Larraín, sur Maria Callas. Les objets qui ont accompagné la diva ont fait partie de sa vie professionnelle comme amoureuse. Nos archives pourraient dire beaucoup de choses sur la Callas ! Seuls elle et nous savons, dans le secret.

C’est le même pacte de confiance avec nos client-e-s non célèbres : il n’y a pas de limite dans le temps sur la confidentialité, chez nous. Chaque vendeur ou vendeuse, que l’on recrute pour ses qualités humaines surtout, personnifie la maison et détient des secrets... qui arrivent dans les archives et demeurent confidentiels.

Par exemple, je m’occupe des commandes spéciales provenant du monde entier. Eh bien, je ne connais jamais le nom des client-e-s !

La maison vient de lancer une bague Trinity en version carrée. Au moment où le surréalisme est célébré à Paris, faut-il de la fantaisie, même pour créer de la haute joaillerie ?
Oui ! Il faut toujours combattre l’esprit de sérieux. La notion de plaisir dans la joaillerie est essentielle.

Déroulez le diaporama ci-dessous pour découvrir quatre apparitions de Cartier qui ont fait date.

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Angelina Jolie porte une broche Cartier

Getty Images

L’actrice incarne la Callas dans le film Maria de Pablo Larraín, qui sortira en France en février. Parée d'une broche portée par la diva, elle a foulé le tapis rouge de la Mostra de Venise 2024, où le film était projeté en août dernier.

Les pétales de cette broche fleur en or, platine, diamants, émeraudes, rubis, créée en 1972 par Cartier (partenaire officiel du Festival International du film de la Biennale de Venise, la Mostra), peuvent s’ouvrir ou se fermer.

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Maria Callas et son ami Jean Cocteau, deux amateurs de Cartier, en mai 1960

Getty Images

Disparue précocement à 53 ans, en 1977, la cantatrice était grande amatrice de bijoux, en particulier ceux de Cartier.

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L'épée de Jean Cocteau créée par Cartier

Courtesy of Cartier

Le dramaturge fut élu à l’Académie française en 1955, et Cartier créa à cette occasion l’épée qu’il avait lui-même dessinée. Un bijou en or, argent, platine, émeraude, rubis, diamants, ivoire, émail et onyx, où l’on décèle la figure d’Orphée, une lyre et une étoile.

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Gene Tierney dans "Le ciel peut attendre" de Ernst Lubitsch

Fox Pathé Europa

La comédienne Gene Tierney soupçonne son mari de la tromper après avoir trouvé la facture Cartier d’un bracelet de diamants dans la poche de son manteau.

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