"Les chapeaux sont comme des halos de gaieté", disait d'eux leur plus fervente adoratrice, l'exubérante rédactrice italienne Anna Piaggi, disparue en 2012, qui en possédait plus de huit cents. Il semble que ses leçons de style pleines de panache et de fantaisie trouvent un écho particulier aujourd'hui. Car ce printemps, ce ne sont pas les sacs, les souliers ou encore les bijoux qui attirent toutes les attentions, mais bien les calottes en feutre très sixties, les capelines romantiques, les turbans boho et autres couvre-chefs non identifiés.

Les expert-e-s mode sont formel-le-s. "Nous sommes entrés dans l'ère du chapeau à personnalité", déclarait déjà en mars 2024 la journaliste et styliste new-yorkaise Leandra Medine Cohen dans sa newsletter Substack. Tandis que Libby Page, directrice du marché chez Net-A-Porter, saluait "la prolifération de chapeaux uniques et intéressants". Car de Gucci à Louis Vuitton en passant par Marni, tous-tes les créateur-rice-s semblent s'être donné le mot pour revisiter le riche vocabulaire de cet accessoire qui vient couronner comme un point d'orgue une silhouette plus sophistiquée que jamais.

Même le Palais Galliera vient de lui consacrer sa première exposition depuis 40 ans. Intitulé "Stephen Jones, chapeaux d'artiste", l'événement a mis à l'honneur les créations du célèbre modiste anglais qui a travaillé avec les plus grand-e-s, de Jean Paul Gaultier à John Galliano en passant par Comme des Garçons et Dior (le "truc en plume" sur la tête de Lady Gaga et la réinterprétation du modèle du New Look de 1947 d'Yseult, aperçus lors des cérémonies des JO de Paris, c'était lui !).

"La mode d'aujourd'hui est devenue trop sérieuse alors que sa fonction première est de nous faire rêver, de nous permettre de fantasmer qui on voudrait être, analyse Stephen Jones. Je crois que le chapeau incarne ce rêve."

Le chapeau, tout un symbole

Longtemps, cet accessoire a régné en maître sur la mode avant de tomber en désuétude, sans pour autant disparaître – les bonnets ou casquettes restent encore solidement vissés à nos vestiaires contemporains. "Depuis l'Antiquité, le couvre-chef est une pièce majeure, car elle sert à protéger et à orner la partie la plus noble du corps, à savoir la tête. En même temps, elle exprime souvent une fonction ou une autorité dans la fonction, comme la couronne des rois ou le képi du gendarme, mais aussi, pour les femmes, la position sociale de leur mari", explique Éliane Bolomier, coautrice de L'Encyclopédie du couvre-chef.

Le chapeau est aussi un support de message. À l'époque de Marie-Antoinette et sous l'influence de sa modiste star, Rose Bertin, les "poufs aux sentiments" s'ornent de frégates pour saluer une victoire de la marine royale. Et, en 1945, les turbans prennent les couleurs de la France libérée.

Symbole d'une mode d'un autre âge, contraignante et empesée, le chapeau verra son déclin dans les années 60, à la faveur des volumineuses coiffures du moment, choucroutes à la BB, crinières façon Vidal Sassoon... Aujourd'hui, le voilà à nouveau dans la course des accessoires les plus en vue. "Le chapeau est signe de distinction ultime, et aussi de sens de l'humour", confirme le journaliste Loïc Prigent. "Personne n'a l'espace pour les stocker. Personne n'a le temps de les mettre. Donc porter un chapeau, c'est vraiment être hors de toutes contingences." Il possède également son propre langage. Un besoin de communiquer, d'affirmer son identité en somme, qui se travaille jusqu'au bout de la silhouette : le chapeau étant, selon la formule de John Galliano, l'accent, le point d'exclamation qui ponctue l'ensemble.

Ruslan Baginskiy, lauréat du Prix accessoires de mode de l'Andam en 2023, le confirme : "Il semble que la mode embrasse de plus en plus l'expression personnelle, allant au-delà des tendances pour développer un style unique et transcendant. L'engouement pour les chapeaux incarne ce changement de paradigme." Le modiste ukrainien, qui s'est fait connaître pour ses casquettes gavroches brodées, a aussi signé des couvre-chefs pour les dernières tournées de Beyoncé et de Madonna. Pour lui, pas de doute : ces moments spectaculaires de la pop culture poussent les gens à porter des chapeaux dans la vie de tous les jours. Comme le modèle de cowgirl noir porté en février 2024 par Beyoncé dans la vidéo de Texas Hold'Em.

La reformation du groupe de britpop culte Oasis n'est sans doute pas étrangère non plus au revival du bob sur les podiums de l'été 2025...

Un accessoire significatif dans les tendances actuelles

Mais le chapeau incarne surtout les envies de sophistication de la saison qui s'expriment à travers des références à l'âge d'or de l'élégance parisienne, une époque où le couturier-roi signait une silhouette de la tête aux pieds. "C'est une touche de folie qui change le look d'un défilé et apporte à la tenue la plus simple une dimension couture", poursuit Stephen Jones. Alessandro Michele l'a bien compris, lui qui en affuble presque tous les looks de son premier défilé pour Valentino.

Remise au goût du jour par The Row, la toque chérie de Jackie Kennedy continue son offensive en version tachiste chez Moschino, drapée chez Chloé ou en paille XXL chez Altuzarra qui a signé l'un des modèles les plus remarqués de l'automne-hiver 2024-2025.

Aujourd'hui pourtant, le chapeau se modernise et s'hybride pour plus de confort et de folie. Star de la saison, la capeline ose toutes les variations.

En simple tissu monogramme (Gucci), en plumes (Luis de Javier) ou brodée, elle monte le volume sur des modèles en paille gigantesques (Antonio Marras) ou en sisal aux lignes sculpturales (Marni). Pas de doute : "le chapeau est un terrain d'expérimentation fabuleux pour explorer de nouvelles matières, revisiter des formes dans un contexte plus contemporain", s'enthousiasme Ruslan Baginskiy qui a imaginé le Hatbag, un sac qui peut être porté comme tel ou en bob.

Alors, bien sûr, pas besoin d'en faire des tonnes avec un chapeau. Un Stetson par exemple suffira à ambiancer un tailleur strict, un turban à chahuter un look minimaliste. Tout est permis. Car, contrairement au vêtement, "le chapeau possède un pouvoir de transformation extraordinaire tout en restant léger, parce qu'on peut l'enlever facilement", conclut Stephen Jones.

C'est certain, cette saison, on ne va plus savoir où donner de la tête.