Telle mère, telle fille. Pour nombreuses, cet adage est lourd de sens, que ce soit pour une question de transmission de caractère, d'affirmation de soi ou simplement de gestes beauté piquées à l'une et l'autre. Quand on parle cheveux, il est d'autant plus vrai... Surtout quand il est question de cheveux bouclés.
S'ils sont tendance aujourd'hui - le hashtag #cheveuxbouclés sur TikTok comptabilise plusieurs millions de vues et les tutoriels à ce sujet explosent -, dans le début des années 2000, ils étaient plutôt rangés dans la case "has been" ou simplement "pas jolis". Souvenez-vous, nos célébrités de l'époque à l'instar d'Aaliyah, J Lo, Tyra Banks ou encore Avril Lavigne usaient et abusaient du fer à lisser pour obtenir des cheveux baguettes, grande mode capillaire des années 2000.
Alors, quand non seulement nos exemples sont des stars aux cheveux parfaitement lisses, notre mère - elle-même sous le poids des injonctions à une beauté ultra formatée -renie ses boucles naturelles pour obtenir à tout prix des cheveux raides, l'acceptation est d'autant plus compliquée, même aujourd'hui, à une ère où les cheveux bouclés regagnent du terrain.
Le mimétisme capillaire mère/fille
Enfant, Lola regardait sa mère se coiffer devant le miroir pendant des heures, à coup de sèche-cheveux brulant et de grosse brosse ronde pour lisser ses belles boucles blondes décolorées. Le bruit du sèche-cheveux et l'odeur du cheveu chauffé - pour ne pas dire brûlé - sous le souffle chaud de l'appareil la réveillait chaque matin, sans exception. "Je me souviendrais toute ma vie, un jour à l'âge de 10 ans, avant d'aller à la kermesse de mon école, ma mère qui me propose de me lisser les cheveux, se remémore-t-elle. Pour moi, enfant traumatisée des critiques de mes camarades sur mes cheveux bouclés et volumineux que je n'arrivais pas à dompter, c'était comme une lueur d'espoir pour enfin pouvoir me sentir comme mes copines aux cheveux lisses et soyeux."
Après s'être vue dans le miroir avec les cheveux raidis, elle se souvient s'être dit que plus tard, elle se lisserait les cheveux comme sa mère, tous les matins, tant le sentiment de joie était grand. Et c'est chose faite. À 27 ans, Lola se lisse les cheveux, non pas tous les jours car elle a compris à quel point la chaleur abîmait ses longueurs, mais à minima une fois par semaine.
C'est son rituel, qu'elle a intégré à sa routine capillaire, qui lui prend du temps (deux heures par semaine en moyenne le temps du shampoing, des soins et du brushing), lui demande un planning bien précis, donc une charge mentale importante (le jour du lavage est sacré, il lui faudrait presque poser une après-midi de travail) mais qui, 17 ans plus tard, lui procure toujours le même sentiment de satisfaction devant le miroir. "Je me sens belle une fois que mes cheveux sont lissés", avoue-t-elle un peu honteuse.
Apprendre à aimer ses cheveux bouclés
Mais Lola aurait-elle eu envie de se lisser les cheveux si sa mère lui avait appris à aimer et embrasser sa vraie nature de cheveux ? D'après elle, sûrement pas. "Certes, j'enviais mes copines à l'école avec leur chevelure lisse et douce, et je voyais bien à la télévision que les cheveux lisses étaient la norme même si je ne le conscientisais pas, mais pour autant, je pense que si ma mère m'avait répété que mes cheveux étaient beaux et si elle m'avait appris les bons gestes pour les aimer, je ne les aurais pas autant lissés", estime la jeune femme.
Ces dernières années, conscients de l'importance de la transmission mère/fille en coiffure, de plus en plus de salons de coiffures proposent des coachings capillaires en ce sens. C'est notamment le cas du Studio Anae, un salon de coiffure fondé par Aude Livoreil-Djampou, qui a notamment participé à la création du premier diplôme de coiffure dédié aux cheveux texturés. Au programme de ces ateliers : diagnostic complet cheveu et cuir chevelu, techniques de démêlage sans douleur, shampoing et soin et apprentissage des techniques de coiffage pour les mamans. De quoi éviter que l'histoire de Lola ne se répète.
Quand on évoque la création de ces ateliers à Constance, 25 ans, elle aussi contrainte de lisser ses cheveux frisés d'abord par mimétisme de sa mère puis par habitude, n'en revient pas. "J'aurais tellement aimé connaître cela, je ne compte plus les fois où je suis sortie de chez un coiffeur en pleurs", se souvient-elle. Un traumatisme qui laisse des traces indélébiles : "Passer le pas de la porte d'un salon de coiffure me donne encore des sueurs froides."
Construire son identité à travers ses cheveux
Pourquoi Lola et Constance, maintenant en âge d'apprendre à coiffer leurs boucles, ne sautent-elles pas le pas ? En réalité, ce n'est pas aussi simple que cela. En effet, les cheveux font partie des trois caractéristiques les plus utilisées - avec la taille et le poids - pour décrire les autres. Le rôle joué par les cheveux dans l’image de soi remonte à l’Antiquité où les Grecs et les Romains portaient des perruques élaborées en signe de statut et de richesse. Pendant des siècles, les hommes et les femmes portaient des perruques blanches et bouclées, signes de haute distinction. Les personnalités politiques et les juges les ornaient en signe de sagesse et de sophistication.
Ils entourent notre tête, et sur certaines personnes, prennent plus de place que leur visage en lui-même. Ils sont au coeur de notre identité. Logique, donc, qu'ils soient source de préoccupation et difficiles à accepter tels qu'ils sont quand ils ne correspondent pas aux normes de beauté.
Aujourd'hui, les cheveux "lisses" de ces deux jeunes femmes font comme partie de leur identité. "C'est avec les cheveux lisses que j'ai eu mon premier copain, avec les cheveux lisses que j'ai eu mon premier job, avec les cheveux lisses que j'ai eu mes premiers compliments, confie Constance. Mes meilleurs souvenirs se sont construits avec mes cheveux lisses et quant à mes cheveux bouclés, eux, ils me rappellent des années de calvaire." Un sentiment partagé par Lola.
Prendre de nouvelles habitudes capillaires
Depuis peu, Lola s'autorise en vacances, loin de tous, de porter ses cheveux au naturel. Un grand changement pour la jeune vendeuse dans le secteur du prêt-à-porter qui lui demande beaucoup d'efforts. "Je passe plusieurs heures à regarder des tutos sur les réseaux sociaux quand je décide de les laisser au naturel, ça me demande beaucoup plus de temps que de les raidir, mais il y a quelque chose de satisfaisant et de libérateur dans le fait de faire ma routine curly et de sortir ainsi", admet-elle.
De son côté, Constance ne se l'autorise seulement quand elle est seule chez elle. "Parfois, je laisse mes cheveux sécher à l'air libre et je me pense prête à sortir ainsi, puis je finis par me décourager de peur que tous les regards soient portés sur mes cheveux, explique-t-elle. C'est une peur irrationnelle, je le sais, j'y travaille, mais la déconstruction prend du temps."