Le costume est mort, vive le costume ! C’est en substance la rengaine que les commentateurs de mode masculine ne cessent de nous rabâcher depuis la pandémie du Covid-19, pointant du doigt la démocratisation du télétravail dans les entreprises - aussi corporate soient-elles - et des nouvelles générations de salariés peu respectueuses des conventions.

Même les professionnels de la politique sont concernés, avec des apparitions télévisées et des mises en scène 2.0 dans lesquelles ils n’hésitent plus à s'afficher en tenue de ville, simple et basique.

Pourtant ce relâchement vestimentaire au détriment de l’uniforme d’ascendance occidentale et capitaliste ne date pas de la dernière crise sanitaire mondiale, bien au contraire.

Il y a tout juste dix ans, tout le monde portait un costume, c'était obligatoire. - Laurent Thoumine

Comme le souligne l’institut de sondage Kantar, les ventes de costumes ont dégringolé tout au long des 10 dernières années avec une chute de 60% en France entre 2011 et 2019.

En 2012, 15% des hommes interrogés assurent acheter un costume dans l'année selon BFM TV, contre 6% en 2020. Quant aux Millenials, ils n’auraient dans leur dressing qu'un seul costume qu’ils porteraient aux mariages, enterrements et… entretiens d’embauche.

"Il y a tout juste dix ans, tout le monde portait un costume, c'était obligatoire, explique Laurent Thoumine, responsable du département consommation chez Accenture à la chaîne d’information. "Il y a sept-huit ans, on a commencé à ôter la cravate, puis à faire du mix and match (porter une veste différente du pantalon), puis à ne porter le costume qu'un jour sur deux et enfin plus du tout. Moi-même je n'en porte plus au quotidien." avoue-t-il.

Pourquoi le costume masculin ne serait plus tendance ?

Dans les entreprises convoitées par les jeunes générations, comme celles de la tech ou de la start-up nation, on vous incite à venir au bureau dans la tenue dans laquelle vous vous sentez le plus à l’aise, quitte à porter la même chose que le weekend dernier.

De Steve Jobs à Mark Zuckerberg, les CEO emblématiques du secteur ont d’ailleurs toujours pris un malin plaisir à revendiquer leur dégaine décontractée, faite le plus souvent de jean, baskets et d’un t-shirt des plus insignifiants.

Le but ? Incarner leur autoproclamé volonté de changer le monde à travers un uniforme de travail émancipé des codes vestimentaires traditionnels. Ou quand la disruption passe (aussi) par l’allure.

Des suites de la récession de 2008, à la chute de banques comme Goldman Sachs et à la crise des subprimes aux États-Unis, cette génération affiche son désintérêt pour l’establishment dont le complet est un symbole"explique Joan Calabia, directeur marketing de Dockers Europe, dans les colonnes du Figaro.

Et pour preuve, c’est lorsqu’il doit faire face au Congrès américain dans le cadre du scandale Cambridge Analitica que Mark Zuckerberg fait tomber sa dégaine d’étudiant pour l’uniforme consacrée du CEO qu’il est.

Un "sorry suit" comme le surnommera le New York Times, qui fait écho à celui des banquiers, assureurs et autres professionnels en déficit de popularité auprès de leurs clients et usagers.

Une silhouette loin des réalités de l'époque

Par ailleurs, en supprimant les costumes de son règlement intérieur, les entreprises tenteraient (vainement) d’humaniser des espaces de travail associées aux corvées et au dur labeur.

Une manière de "gommer les différences de statuts entre les uns et les autres, qu'il n'y ait plus de frontière entre subordonnés et supérieurs hiérarchiques", comme le précise le psychologue du travail Sébastien Hof dans le Point mais aussi de marquer la fin des frontières entre vie perso et vie pro, pour le meilleur comme pour le pire.

Une ode à l’informel en somme, qui se révèle paradoxalement une façon commode de duper subtilement les salariés, en leur donnant le sentiment, qu’en jean-tshirt, ils ne travaillent pas vraiment… pour justement les faire travailler plus, et plus longtemps.

En parallèle, l’abandon du costume vient manifester - côté salariés - un certain détachement vis-à-vis de l’emploi qu’ils occupent, la carrière étant encore hier érigée en alpha et oméga de son identité.

"Aujourd’hui, j’ai une drôle de sensation quand je porte le costume-cravate : une sorte d’acceptation du fait que c’est has been alors qu’on parle tous terrasses, télétravail et jardinage loin des centres urbains", commente Matthieu Z. sur le blog de mode masculine Bonne Gueule.

Les femmes, l’avenir du costume d’homme ?

Si les hommes ont tendance à le délaisser - à l’exception d’inconditionnels dandy qui aiment se pavaner en costume 3 pièces aux abords des défilés et autres événements mondains - les femmes tendent plus que jamais à se le réapproprier.

Un simple aperçu aux podiums et enseignes de fast-fashion suffit à le démontrer, le costume est partout, que ce soit en version color-block pour l’été ou à fines rayures pour l’automne-hiver.

J’ai une drôle de sensation quand je porte le costume-cravate - Matthieu Z. sur Bonne Gueule

Plus cérébrale que sa version power suit des années 80, ses lignes sont épurées, sa coupe fluidifiée et sa silhouette non-genrée.

Boutonnée à même la peau, ouvert sur un t-shirt à message avec des baskets ou jouxtée d’un chemisier ou de talons, il s’affirme comme une pièce versatile du vestiaire féminin contemporain, adaptée aux besoins de confort et de versatilité de son emploi du temps chargé.

Côté politique, des jeunes (et moins jeunes) conquérantes comme Alexandria Ocasio-Cortez aux Etats-Unis en ont fait leur instrument de pouvoir stylistique tandis que, côté fashion world, les habitués des front row se distinguent dans des costumes pantalons aussi audacieux que singuliers.

Même l’industrie du mariage s’y met, avec des costumes pour femmes immaculés à la Bianca Jagger qui viennent sérieusement concurrencer la traditionnelle meringue ou la sempiternelle robe à coupe sirène. À croire une fois de plus que c’est le brouillage des genres qui viendra sauver la mode.