Le show de la victoire. En 1994, pour son second défilé, Lee Alexander McQueen présentait en plein cœur de Londres, dans le fameux nightclub Le Café de Paris, une collection ouvertement inspirée du folklore irlandais. Et plus particulièrement de la Banshee, une créature surnaturelle et mystique qui, comme la sirène, hante l’imaginaire marin de ses mauvais augures. Interprétation prodigieuse des archives vestimentaires britanniques, cette collection à la fois gothique et onirique finit de convaincre le petit monde de la mode londonien, qui voit alors en McQueen son nouvel enfant terrible.
Vingt ans plus tard, et plus précisément le samedi 28 septembre, Seán McGuirr a décidé de faire de cette archive le nouveau point de départ de sa mission au sein de la maison qu'il a rejoint en octobre 2023. Après un premier show qui a laissé l’industrie du luxe songeuse, le successeur de Sarah Burton s’est à son tour plongé dans le mythe de la Banshee pour décliner une collection printemps-été 2025 s’inscrivant avec modernité dans l’héritage de Lee McQueen
Une collection envoûtante, entre tradition et subversion
Ses silhouettes, à la fois théâtrales et profondément humaines, témoignent d’une compréhension fine de ce qui fait la force de la maison McQueen : un savant mélange de romantisme un brin gothique et de savoir-faire traditionnel ultra technique, dont se dégage une féminité franche, puissante et envoûtante.
Les robes d’inspiration élisabéthaine ravivent ainsi la richesse des archives de McQueen, mais se modernisent à grands renforts de coupes asymétriques et de détails bruts, presque déchiquetés. Une ode à la rupture que l’on retrouve dans les robes d’organza effilochées, qui semblent flotter comme des spectres dans la brume, ou encore dans les fines chaînes d’argent brodées sur des corsets qui évoquent à la fois l'armure et le bijou.
Entre tradition et radicalité, les tailleurs emblématiques de la maison sont ici portés à leur paroxysme, les épaulettes — sculpturales — donnant une allure presque agressive aux silhouettes, tandis que des drapés inattendus apportent une touche de déconstruction maîtrisée. La taille, quant à elle, marquée avec une précision quasi militaire, vient aiguiser le tout, non sans un certain sens du drama. Les jeux de textures subliment cette quête d’une structure singulière, avec des matières comme la georgette et l’organza associées au velours ou à la soie, sources de contrastes saisissants.
Enfin, le choix d’une palette chromatique minimaliste — noir, blanc, quelques éclats de rose et d’orange pop — accentue la tension entre tradition et subversion, véritable fil rouge de cette collection. Il faut néanmoins mentionner les accessoires, notamment les souliers sculpturaux qui semblent défier les lois de la gravité, et les bottes Sparrow ou les plateformes Crow qui réinventent le concept des brogues traditionnelles.
Dans un décor presque apocalyptique signé Tom Scutt, chaque silhouette, chaque détail plonge ainsi les spectateur-rice-s dans un univers chimérique que Lee McQueen lui-même n’aurait pas renié. En 1994, les critiques et journalistes de mode avaient été tellement séduits qu’ils avaient surnommé le défilé Banshee "la star de la semaine". Seán McGuirr pourrait être auréolé du même surnom cette saison.