En accord avec les préoccupations de l’industrie, les écoles de mode sont de plus en plus nombreuses à proposer des cursus consacrés à la mode responsable, ou du moins à inclure ce sujet dans leurs cours.
Elles sont cependant rares à être entièrement axées sur l’éco-responsabilité, ou à adopter une approche hollistique au-delà du design et du marketing.
Mais trois institutions mènent le secteur vers une démarche approfondie.
Les nouvelles écoles de mode engagées
“Quand j’élaborais mon projet en 2019, j’ai presque été choquée de voir que l'éco-responsabilité était rarement au cœur de l’enseignement des grandes écoles.” Marion Lopez est la directrice Studio Lausié, école d’upcycling basée à Marseille.
Après une carrière en tant que styliste, elle a souhaité former les nouvelles générations à une mode plus responsable, dépitée par l’impact social et environnemental néfaste qu’elle a constaté dans son travail.
Chez Studio Lausié, "circulaire" est le mot d’ordre. Les élèves sont formé·es à l’upcycling de la conception à la fabrication, le tout à partir de textiles récupérés par l’école.
Même la création de moodboard et autres supports créatifs est faite à partir de magazines réutilisés, pour une mode zéro déchet.
Notre objectif est que les entreprises du secteur de la mode recrutent nos jeunes pour plus diversité dans leurs équipes, mais aussi pour qu’ils bénéficient de leur vision à la fois créative et responsable. - Fondatrice de Casa 93
Une formation qui se veut professionnalisante comme nous l'explique la directrice : "Toute l’année, nous avons des masterclass avec des professionnels engagés du secteur, comme par exemple le responsable de la production chez Kenzo qui est très sensible à la RSE. Nous faisons également un séjour annuel à Paris, pour montrer comment construire une marque durable aux jeunes qui le souhaiteraient, avec des partenaires comme Patine ou RESAP."
La Casa 93, elle, est pionnière sur les questions d'éco-responsabilité. Déclinaison européenne de la casa Geraçao, lancée en 2012 dans les favelas de Rio par Nadine Gonzalez via un partenariat avec l’association ModaFusion, l'antenne française a instauré dès ses débuts une nouvelle vision de l'apprentissage mode.
Ouverte en 2017 dans le 93, elle permet à des élèves issu·es en priorité des quartiers populaires de se former gratuitement - et sans condition de diplômes préalables - aux enjeux écologiques de la mode. Le succès est au rendez-vous : après Montreuil, des nouveaux locaux sont créés à Toulouse dans le quartier du Grand Mirail.
"Nous dispensons des modules autour de l’éco-conception, de l’éco-design ou upcycling, du visual mending (réparer des vêtements et valoriser les défauts des vêtements), de la teinture végétale, du zéro waste… Et sur l’utilisation de logiciels numériques comme Clo 3D, pour penser et créer des vêtements depuis le patronage sans utiliser de papier et de toile." énumère Nadine Gonzalez.
De plus, La Casa 93 forme également ses élèves via des fresques du climat, du textile et des déchets. Fidèle à ses engagements, l’école n’utilise aucun textile neuf : elle récupère majoritairement des vêtements auprès de marques et encourage ses étudiant·es à participer à des tris dans des recycleries textiles.
Dans les grandes écoles mode, la rareté d’une approche holistique de l'enseignement
Depuis quelques années, les écoles de mode réputées se sont elles aussi emparées des questions durables s’emparent aussi des questions liées au développement durable.
L’ISAA propose par exemple un Bachelor en design textile responsable ainsi qu’un Master en marketing et éco-responsabilité. De son côté, ESMOD inclut cet enjeu dans ses formations en stylisme et en modélisme. L’International Fashion Academy (I.F.A) a développé quant à elle un Bachelor mode et développement durable.
Malgré tout, elles restent peu nombreuses à adopter une approche transversale du développement durable, qui nécessite une éco-conception mais aussi un management, un sourcing et un développement adapté à ses enjeux.
Une exception notable, en France mais aussi à l’international, est l’Institut Français de la Mode et sa Chaire Sustainability. Fondée en 2019 en partenariat avec Kering, elle est dirigée par Andrée-Anne Lemieux, qui ne cache pas son enthousiasme : "L’objectif est de former l’ensemble des étudiants aux concepts et valeurs du développement durable pour en faire des acteurs du changement.”
Cela commence par des cours obligatoires du Bachelor au Master, en passant par les cursus destinés aux professionnel·les. Ils comprennent des cours magistraux techniques sur les fondations du développement durable (limites planétaires, enjeux, biodiversité, impact social…) et une approche méthodologique de l'éco-design et l'intégration des économies circulaires.
Des options et spécialités sont ensuite proposées dans tous les cursus, qu’ils soient managériaux ou créatifs.
"Quand j’élaborais mon projet en 2019, j’ai presque été choquée de voir que l'éco-responsabilité était rarement au cœur de l’enseignement des grandes écoles." - Marion Lopez, directrice de l'école Studio Lausié
"Par exemple, sur un programme de design vêtement, nous travaillons autour des handicaps avec le Grand Prix de Design Inclusif, Eyes on Talent et Paris Food fashion", commence à expliquer l'experte. "Nous avons fait venir l’APHP handicap, un ergothérapeuthe et des patientes en fauteuil pour que les élèves produisent des créations adaptées à un ou plusieurs handicaps, mais qui peuvent aussi être vendues à tout le monde. En management, nous adressons la décroissance : comment inclure les limites planétaires dans un business model tout en développant une entreprise ?".
Pour les plus motivé·es, un certificat ouvert à toute l’école a lieu d’octobre à avril. Des étudiant·es de 21 à 45 ans y mènent des projets en équipes, comme la conception et la production de tenues adaptées aux personnes sans-abris avec l’association Utopia 56, la création de maillots de bain à base de laine avec Woolmark pour sortir des matières synthétiques, un programme d’échange avec la fondation OR au Ghana… "Tous ces projets et enseignements sont soutenus par la recherche scientifique pour répondre à de vrais besoins. Nous avons plus de 350 heures de cours cette année, sans compter les conférences.” estime Andrée-Anne Lemieux.
Et après le diplôme ?
Au-delà des initiatives mises en place par les écoles, l’engagement des élèves peut-il s’épanouir une fois qu’ielles intègrent les marques ?
Les étudiant·es des écoles dédiées sont bien accueilli·es d’après Nadine Gonzalez : "Notre objectif est que les entreprises du secteur de la mode recrutent nos jeunes pour plus diversité dans leurs équipes, mais aussi pour qu’ils bénéficient de leur vision à la fois créative et responsable. Les marques partenaires avec qui nous faisons des collaborations pédagogiques ont signé un contrat avec nous dans lequel la clause RH stipule l’engagement de l’entreprise à recruter au moins un jeune en stage, voire en contrat."
L’école affiche effectivement 84% d’insertion, mais la mode s’implique peu sur les questions d’inclusivité pour sa directrice.
Elle explique : "Nous avons été invités au Sommet de l’Inclusion Économique : sur les 50 entreprises partenaires de l'événement, il ne figurait aucun groupe de Luxe, et seulement une marque de mode y était présente. Il y a donc des progrès à faire au niveau de leur recrutement."
Des anciens élèves me contactent et ne se sentent pas en accord avec leurs valeurs dans des postes de stylistes, d’acheteurs ou en studios... Pour certains, c’est très dur. - Andrée-Anne Lemieux, directrice de la Chaire Sustainability à l'IFM
Du côté de l’IFM, le bilan est également mitigé. Andrée-Anne Lemieux se réjouit qu'un tiers des élèves du Certificat aient trouvé un poste en RSE, et que d’autres étudiant·es aient pu mettre leur formation à profit dans l’événementiel ou la communication de mode durable. Mais cette belle victoire contraste avec le cas de plusieurs élèves à des postes créatifs au sein de marques, qui sont parfois frustré·es.
Selon la directrice de la chaire sustainability à l'IFM : "Des anciens élèves me contactent et ne se sentent pas en accord avec leurs valeurs dans des postes de stylistes, d’acheteurs ou en studios... Pour certains, c’est très dur. Des élèves ultra talentueux, qui ont été repérés et engagés par des grandes maisons, se demandent même s’ils ne vont pas retourner en formation pour faire de la recherche créative et développer des solutions responsables ! Ils constatent un vrai décalage avec ce qu’ils ont appris. On sent bien qu’il y a un écart à combler au sein de l’industrie.".
Une réalité qui représente bien l'ambiguïté de l'industrie de la mode face ces questions.