Au début de sa carrière, Nicole Kidman, 1,80 m, entendait des phrases du type : "Tu ne feras pas carrière, tu es trop grande". Clara Luciani - 1,80 m également - était moquée à l’école à cause de sa taille. "Je ne me trouvais pas jolie parce qu'on me disait en permanence que j'étais moche", confiait-elle dans l’émission Les Rencontres du Papotin sur France 2, en novembre 2024.

Si la grande taille est souvent perçue comme un atout dans notre société, la très grande taille, quant à elle, peut être source de stigmatisations, moqueries et être vécue difficilement par les principales concernées. Car oui, on distingue les femmes grandes des femmes très grandes. Comme le rapporte l’Inserm, une femme est considérée "anormalement" grande à partir de 1,77 m, ce qui représente 2% à 3% de la population féminine. 

Des remarques qui commencent dès le plus jeune âge

Quand on est "hors norme", pas besoin de lire des études pour s’en rendre compte, c’est dans le regard des autres qu’on le comprend. "J’ai toujours été la plus grande de ma classe et au collège, je ne passais jamais inaperçue, que ce soit avec les profs ou les autres élèves, raconte Melina, 23 ans, 1,80 m. J’ai longtemps eu honte de ma taille, car on me regardait toujours, et je me sentais jugée. J’ai l’impression qu’on attendait toujours plus de moi, s’il y avait du bruit dans la classe, on avait souvent tendance à se tourner vers moi car j’étais plus remarquable que les autres."

"La grande perche", "la girafe"... Ces surnoms, tout comme de nombreuses autres très grandes femmes, Melina les a entendus toute son adolescence, principalement au collège, lieu où les moqueries et le harcèlement débutent le plus souvent — selon les résultats d’une grande enquête nationale révélés par la ministre de l’Éducation Nicole Belloubet, lundi 12 février, 2024, 6% des collégien.nes en seraient victimes. 

Je rêvais de me couper les jambes.

De ces surnoms, Melina en garde un goût amer. "Je rigolais pour faire bonne figure, mais ça me faisait mal. Et puis, avec le temps, ça a empiré. Les garçons me disaient des trucs comme 'tu devrais jouer dans une équipe de géants' ou 't’es trop grande pour être une fille'. Ce n’était plus de l’humour, mais des insultes. On a commencé à m’afficher sur les réseaux sociaux et ça m’a fait perdre confiance en moi, je n’avais plus du tout envie d’aller au collège. J’ai commencé à détester ma taille et à me renfermer sur moi-même", se rappelle la jeune femme.

Même constat pour Émilie, 35 ans, qui a connu les moqueries liées à son mètre 86 dès l'adolescence. "J’ai été harcelée au collège à cause de ma taille, on m’appelait 'ficello' car j’étais grande et relativement mince, j’en ai énormément souffert", relate-t-elle. Caroline, 48 ans, 1,83 m, se souvient, elle aussi, avoir été moquée, jugée, pointée du doigt à cause de sa taille plus jeune.

"Aucun garçon ne s’intéressait à moi à cause de ma taille"

Dans une société patriarcale dans laquelle la norme veut que l’homme soit plus grand que la femme, il est parfois difficile d'entamer une relation amoureuse quand on dépasse le mètre 80.  

"Les garçons ne s’intéressaient pas à moi à cause de ma taille, ils me voyaient comme leur pote, mais jamais comme leur potentielle petite amie, se souvient Émilie. Un jour, au collège, je suis tombée folle amoureuse d’un garçon qui mesurait 1,60 m, soit 10 cm de moins que moi à l’époque. Je n’ai jamais osé lui dire ce que je ressentais pour lui, car je voyais de toute façon qu’il était intéressé par mon amie, bien plus petite que lui. Il avait dit un jour qu’il trouvait les filles petites mignonnes, j’avais pleuré pendant des semaines. Je rêvais de me couper les jambes."

Aujourd’hui en couple avec un homme plus petit qu’elle, Émilie n’a plus aucun problème avec les hommes, ou du moins, les hommes n'ont plus de problème avec sa taille. "En grandissant, je me suis vite aperçue que ma taille n’était finalement pas du tout un souci avec les hommes, le manque de maturité l’était."

Sentiment partagé par Melina : "Aujourd’hui, ma taille n’est plus une barrière dans mes relations, bien au contraire. Je me tiens droite et j’assume pleinement qui je suis, avec l’assurance que ma valeur va bien au-delà de quelques centimètres de différence."

Entre jugement et admiration : le paradoxe de la grande taille

Malgré un récit similaire entre les femmes très grandes de taille qui témoignent d’une stigmatisation à un moment donné de leur vie de la part de la société, cette caractéristique n’est pour autant peu, voire pas du tout, reconnue en tant que telle.

"Je constate qu’il est très difficile pour les personnes d'envisager cette réalité puisque la femme grande, 'la mannequin', occupe tous les esprits, analyse Marie Buscatto, sociologue au CNRS. Puis, si l’on écoute les femmes de taille petite à moyenne, elles rêvent toutes d’avoir quelques centimètres en plus."

Pourtant, cette mise à l’écart vécue par de nombreuses femmes très grandes survient le plus souvent à l’adolescence, un moment crucial où l’on cherche à trouver son identité, appartenir à un groupe, et surtout ne pas se sentir différente. 

Être grande, c’est avoir une présence unique et une force qui ne demandent qu’à être révélées.

Après avoir enquêté pendant plus de six ans avant de publier son ouvrage La très grande taille au féminin (CNRS Éditions), Marie Buscatto a fait état d’un point commun entre tous les témoignages rapportés : pratiquement toutes les femmes interrogées ont au moins une fois dans leur vie entamée un parcours thérapeutique. "Et dans ce chemin thérapeutique, qui parfois était long, la très grande taille n'était jamais abordée, soit elle l’était par la personne elle-même dans son cadre thérapeutique, mais même quand elle l'abordait elle-même, la psychothérapeute n'en faisait jamais un élément qui pouvait avoir participé à la construction de la trajectoire de la personne. Et ça, je ne m'y attendais pas."

Faire de sa grande taille une force 

Si apprivoiser la très grande taille n’est pas toujours une mince affaire à l’adolescence, elle devient pour la plupart des femmes une force, une fois l’âge adulte atteint.

C’est le cas de Caroline, devenue mannequin à ses 18 ans, qui a su de faire sa taille un atout. "J’ai rapidement compris que ces longues jambes de plus d’un mètre cinq que je détestais étant jeune, n'étaient finalement pas si mal que ça", raconte-t-elle en souriant. Même chose pour Melina, qui a fait de sa taille une force, à tel point qu’elle en a créée un compte TikTok dédié et même un podcast "destiné aux tall girls" (filles grandes, en français). 

"Ce que je veux leur transmettre, c’est que leur taille n’est pas une contrainte. Être grande, c’est avoir une présence unique et une force qui ne demandent qu’à être révélées. Peu importe les standards ou les remarques, il est possible de transformer cette différence en un véritable atout. Je crois profondément qu’il est possible de transformer ce qui peut sembler être une faiblesse en une véritable force", conclut Melina. 

De son côté, Emilie a, elle aussi, fait la paix avec sa taille à la vingtaine : "J'ai commencé à porter des talons quotidiennement et à ne pas faire attention aux regards dans la rue, j'en ai juste marre qu'on me demande ma taille à n'importe quel moment et lieu de la journée ou qu'on me demande si je fais du basket, mais je n'échangerai ma taille pour rien au monde."