"Il est l’amant le mieux payé de Beverly Hills. Il aide les femmes à se sentir plus vivantes qu’elles ne l’ont jamais été. Sauf une." Telles sont les quelques lignes bien senties qui accompagnaient en 1980 l’affiche du sulfureux American Gigolo, le long-métrage qui a propulsé Richard Gere au rang de sex-symbol et méga star hollywoodienne en 1980.
Pourtant, les critiques mode et autres experts du style contemporain sont sans appel : les costumes du film, signés Armani, sont les véritables héros de ce film emblématique de toute une génération.
La séquence d’ouverture en serait d’ailleurs la démonstration flagrante. Cette dernière mett en scène un Richard Gere qui se lance dans les essayages de ses futurs costumes, dans un intérieur carmin qui ne fait qu’inspirer la confiance et le pouvoir.
Inutile de préciser qu’après ce film, tous les hommes de l’époque ne voulaient qu’une chose : porter des costumes Armani. Bref, en 117 minutes de pellicule, le power suit était né.
Armani, l’homme qui réinventa le costume
Retour dans le passé. Nous sommes en 1975 et Giorgio Armani vient de fonder une maison de couture qui porte son nom, avec seulement 10 000 dollars en poche. Il a alors 40 ans et une seule idée en tête : révolutionner la mode italienne en mêlant avec dextérité confort et raffinement, à la faveur de vêtements taillés pour un monde contemporain en pleine (r)évolution.
Chocs pétroliers à répétition, première guerre en Irak, mais aussi révolutions féministes, montée du mouvement punk ou encore décadence noctambule aux quatre coins du globe : à la fin des années 70, un vent de changement souffle en effet sur les sociétés occidentales, se manifestant (entre autres) dans la manière dont certains créateurs appréhendent le vêtement, y compris le plus masculin des uniformes : le costume.
Or, contrairement aux coupes rigides et aux tissus lourds des décennies précédentes, les créations d'Armani - inspirées des concepts puristes du mouvement Bauhaus - se caractérisent par des lignes épurées, des coupes fluides et des tissus légers.
Confectionnés à partir de matériaux comme la laine froide et le lin, ses modèles offrent une souplesse et un confort inégalés tout en maintenant une allure élégante et structurée, aux antipodes des habituelles coupes rigides qui animaient jusqu’alors l’univers ultra conservateur du costume sur-mesure.
Une conception et une fabrication audacieuses, qui permettent à celleux qui portent les costumes Armani de se sentir à l'aise tout en projetant une certaine image de puissance et de confiance. Le créateur s’empare également d’une palette chromatique minimaliste aux couleurs neutres et sobres – gris, bleu marine, noir – esquissant de surcroît une esthétique raffinée et intemporelle.
De quoi renforcer l’idée d’une sophistication discrète qui - saluée par le Neiman Marcus Award en 1979 - deviendra rapidement synonyme de made in Italy, bien que certains lui collent l’étiquette de post-moderniste.
L’uniforme du pouvoir made in Armani
Outre le succès hollywoodien d’American Gigolo et son impact sur les ventes de costumes griffés Armani, ces derniers vont dès le début des années 80 bénéficier d’une croissance économique rapide et de l'ascension d'une nouvelle classe de cadres et d'entrepreneurs qui cherchent à affirmer leur statut de (grands) dominants de la société.
Ce sont notamment les fameux Golden Boys, ces as des marchés financiers, qui font de leurs costumes des signes extérieurs de réussite et d’ambition. Une tendance muée en phénomène de société, dont Armani se fait le nom et qui touchera le vestiaire masculin comme la garde-robe féminine.
Et pour cause : avec les années 80, les femmes inondent (enfin) le marché du travail et, fortes des dernières avancées législatives en matière contraceptive, s’extirpent de la sphère domestique pour mieux percer les plafonds de verre professionnels. Or, dès la fin des années 70, Giorgio Armani habille les femmes qui l’inspirent de ces costumes avant-gardistes, à l’image de Diane Keaton, alors icône du fameux Annie Hall (1978) ou encore Grace Jones qui pose en 1981 sur la couverture de son album Nighclubbing (signée Jean Paul Goude) simplement vêtue d’un blazer Armani.
Dans ses boutiques, qui proposent désormais des collections femmes, le créateur introduit des tailleurs pantalons élégants et confortables, permettant à la figure montante de la working girl de s'affirmer dans le monde professionnel sans sacrifier sa féminité. Une proposition stylistique audacieuse combinant style et fonctionnalité, qui ne cessera d’accompagner les femmes dans leur émancipation par le travail tout en redéfinissant leur rôle dans la société, y compris depuis le tapis rouge.
De Julia Roberts à Jodie Foster en passant par Sharon Stone, les tenantes du glamour troquent leurs robes de diva pour des costumes pantalons Armani qui, pour la plupart, sont entrés dès leur apparition au panthéon de la mode. “Je voulais habiller des femmes qui vivent et qui travaillent, pas les femmes que l’on voit juste en tableau”, aurait déclaré le couturier italien, revendiquant ostensiblement une vocation aussi stylistique que sociétale. Vous avez dit prise de pouvoir ?