Associée à l'image d'épinal d'un touriste peu distingué traînant bermuda et casquette chaussettes sous les cocotiers d'une station balnéaire un brin dénaturée, la chemise hawaïenne recèle en réalité une histoire socio-culturelle étourdissante où se mêle héritage post-coloniale, culture surf galvanisé et âge d’or hollywoodien fantasmée.

Et pour cause, la fabuleuse histoire de cette pièce devenue synonyme d'évasion et de congés payés débutent sous de sombre auspices, alors que dès la fin du XIXe siècles missionnaires et occidentaux s'emparent de l’archipel d'Hawaï, décimant les populations locales tout en y imposant leur propre culture, y compris leurs us et coutumes vestimentaires.

Exit les tenues traditionnelles polynésiennes, les colons imposent la garde-robe des pays du nord, important la machine à coudre et développent en parallèle une industrie sucrière sur fond d'esclavage et d'émigration de travailleurs étrangers, principalement asiatiques.

Ce sont ces derniers qui, inspirés des tissus et tenues traditionnels de leurs pays d'origine - comme le Yukata japonais ou le Tugalog Barond philippin - qui poseront les fondements de la chemise hawaïenne moderne en les utilisant pour confectionner des chemises amples, adaptées au climat tropical local et au dur labeur dans les champs.

Histoire.

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L’héritage d'une île multiculturelle

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Repérée de manière anecdotique sur le dos d’étudiants de l’université de l’île dès les années 20, il faudra attendra la décennie suivante pour voir l’accoutrement se généraliser, les migrants japonais représentant alors près de 40% de la population.

Extirpés des champs et de leurs conditions de travail éprouvantes, certains deviendront tailleurs et s’appliqueront à livrer leur propre interprétation de la chemise hawaïenne, dont Kichiro Miyamoto qui a l’idée de fabriquer des chemises hawaïennes à partir des chutes de tissu de kimono japonais dès 1935.

Il sera rapidement devancé par un certain Ellery Chun, un homme d’affaires sino-hawaïen qui revendique la paternité de la pièce convoitée en créant la "chemise Aloha", un design breveté en 1937 qu'il fait par la suite fabriqué par des tailleurs locaux.

Un duel mode qui contribuera à la popularisation de la chemise hawaïenne dans tout l’archipel, au point de se muer en pièce emblématique, de celles que les locaux portent fièrement comme les touristes qui en ramènent un modèle lorsqu’ils se rendent à Hawaï pour leurs vacances.

Exit les motifs et imprimés d’ascendance nippone, les chemises affichent désormais des paysages de cartes postales qui font état d’un Hawaï fantasmé.

C’est aussi l’essor du prêt-à-porter et de l’aviation de tourisme, deux industries qui contribueront à l’irrésistible expansion de la chemise hawaïenne au-delà des rivages de l’île qui devient officiellement le 50e état américain en 1959.

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Sous le soleil d’Hollywood

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Et c'est dans la Californie coolissime des années 60, bercée par la culture surf et plus généralement le mouvement hippie, que la chemise hawaïenne va venir trouver un second foyer, grâce notamment à des icônes de la glisse comme Duke Paoa Kahanamoku, surfeur hawaien qui popularisera la discipline (et la fameuse chemise) aux Etats-Unis comme en Australie.

C’est surtout sur les hauteurs d’Hollywood que la chemisette aux imprimés exotiques connaîtra son âge d’or, que ce soit dans les long-métrages On an Island with you de Richard Thorpet, Hawaï Call de Edward Cline ou encore Naked in Paradise de Richard Denning.

Mais c'est Sous le ciel bleu de Hawaï de Norman Taurog qui tira son épingle du jeu avec une bande originale signée Elvis Presley qui posera en chemise hawaïenne rouge et blanche sur la pochette du vinyle.

De quoi populariser la pièce dans toute l’Amérique moderne qui en fait l’uniforme de l’été par excellence, nourrie par des icônes du cinéma puis du petit écran qui ne cesseront d’auréoler de hype la fameuse chemisette Aloha.

D’Al Pacino dans Scarface à Brad Pitt dans Fight Club, en passant par Tom Selleck dans Magnum, Jim Carrey dans la saga Ace Ventura ou encore Leonardo DiCaprio dans Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, la chemise hawaïenne se fait la seconde de peau de personnalités fictives charismatiques, plébiscitées du grand public qui, paradoxalement, ne se l’approprient pas franchement dans sa propre garde-robe.

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La chemise "good vibes" de l'été

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Il faudra attendre les années 2010 et leur insatiable besoin de remettre sur le devant de la scène des icônes du mauvais goût d’antan pour revoir la chemise hawaïenne rayonner sur la scène mode.

En 2016, c’est Hedi Slimane chez Saint Laurent qui en fait la pierre angulaire de ses collections inspirées du cool californien, suivies de près par Valentino et sa collection Hawaï ou encore un peu plus tard Lucas Ossendrijver chez Lanvin homme."Il y a quelques années, je n'aurais pas dessiné ces chemises", avait-il admis au journal Le Monde.

"Mais je me suis laissé tenter : l’air du temps dicte des pièces fantaisistes et peu conceptuelles. Je les affectionne car elles racontent une histoire, une quête de plaisir et de détente, et ont ce pouvoir rare de remonter immédiatement le moral de celui qui les porte."

Entre revival vintage nostalgique et ode au second degré, "dad shoes" et survêtement peau de pêche, la chemise Aloha s’incruste de nouveau dans le vestiaire des jeunes générations, filles comme garçons, quitte à susciter l’incompréhension de leur aînés.

Qu’à cela ne tienne, rien ne saurait entacher la sensation de bonne humeur suscitée par ce bout de tissu centenaire qui - aussi cliché soit-il - porte aussi en lui une philosophie de vie placée sous le signe du respect mutuelle et du bien-être.

C’est aussi ça, en somme, l’utilité d’un vêtement.

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