Avis aux oiseaux de nuit et fêtards en tout genre ! S’il ne vous a certainement pas échappé que l’éventail est l’ultime accessoire à afficher en soirée, les origines de son ascendance festive vous restent peut être méconnues.

Et pour cause, avant d’être agité dans la foule condensée des soirées underground et des rooftops dansants, l’éventail fut dès les années 80 l’accessoire de rigueur à afficher sur le dancefloor.

Celui qui a lancé la tendance ? Nul autre que Karl Lagerfeld.

Oiseau de nuit invétéré, le créateur revendiquait en 2001 avoir remis au goût du jour cet apparat néo-bourgeois dans les années 80 : "C'était à l'époque du Studio 54. Il n'y avait pas d'air conditionné, tout le monde fumait, l'air était irrespirable. J'ai eu l'idée d'utiliser un éventail, et c'est devenu très vite un accessoire indispensable... ", raconte-t-il non sans fierté. L’éventail étant alors devenu sa marque de fabrique au même titre que son costume trois pièces, ses épaisses lunettes de soleil ou son catogan.

Et pour cause, rien ne prédestinait l’éventail à revenir sur le devant de la scène, l’accessoire étant alors synonyme d’une silhouette féminine à l’ascendance aristocratique surannée.

Mais contrairement aux idées reçues l’éventail n’a pas attendu la Cour du Roi pour s’inviter dans nos us et coutumes.

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L'éventail, un instrument de pouvoir multiculturel

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Pour certains historiens, c’est carrément avec le feu que naît l’éventail. L’Homme en eu marre d’activer les flammes à la simple force de son souffle, il aurait eu l’idée d’utiliser une feuille tressée rigide pour attiser l’étincelle de ses braises.

Pour d’autres, c’est l’Egypte Antique qui serait mère dudit accessoire, avec les flabelli, ces éventails de cérémonie fait de plumes et de hampe sur lesquels les pharaons se font représentés avec leurs richesses et trophées en signes ultime de pouvoir.

 

Dans l’Empire gréco-romain, on remarque que les femmes agitent devant leur visage des simulacre de feuille, parfois en tôle de bronze, afin de se préserver de la chaleur tandis que les Romains semblaient préférer des petits éventails brisés faits à partir de lamelles de bois ou d’ivoire rattachés par un ruban.

Un modèle que l’on retrouve dans la Chine du VIIe siècle avant JC, avant que les Japonais n’inventent au VII de notre ère le “sensu”, un éventail inspiré de la manière dont les ailes de chauves souris se déploient et se rabattent.

Ramené en Europe au milieu du XVI par les Portugais rentrant du Pays du Soleil Levant, l’éventail se propage en Espagne, en Italie puis en France, où Catherine de Médicis donna le ton en propageant la mode de l’éventail à la Cour du Roi.

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Un gage d’élégance et de distinction

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Avec le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV, la mode s’impose et le nom d’éventail s’officialise sous la plume de Brantôme et de “La vie des dames galantes.”

D’instrument de pouvoir, il en devient un gage d’élégance qui vient se muer en incontournable de la silhouette des Lumières. Impression au pochoir, production manufacturée de “masse”, l’éventail brisé laisse place à l’éventail plié et se décline en une variété infinie de couleurs, de matières et d’imprimés.

Il devient même une canevas pour les peintres de renom, des Manet, Renoir ou Piassaro faisant de la peinture sur feuilles d’éventails un art à part entière.

 Les éventails représentent l’acceptation de soi et le fait d’être résolument soi dans une société qui n’est pas toujours prête à l’accepter - Nikos Giannopoulos

L’ Art Nouveau et l’Art déco se déploie sur des éventails convoitées tandis que des productions plus massives se mettent en place en Espagne et au Moyen Orient.

L’éventail est un accessoire de mode à part entière, de ses éditions les plus luxueuses à ses modèles les plus basiques. Objet du quotidien, il devient également un support publicitaire original aux mains notamment des hôtels de luxe qui y voient une façon audacieuse de communiquer auprès de sa riche clientèle.

C’est sans compter l’éclatement des deux premières guerres mondiales, qui enverront les femmes dans les usines et les privent de leurs apparats habituels. Avec la mode, c’est aussi l’éventail qui disparaît avant d’être relégué au statut de pièce de musée, de celles qui appartiennent au passé.

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L'éventail, un accessoire genderless aux revendications queer

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À l’inverse des talons, de la cravate ou des collants qui furent d’abord l’apanage du genre masculin avant d’être autorisés par les femmes, l’éventail fait partie de ses rares accessoires de mode qui a été simultanément utilisés par les deux sexes.

Symbole de pouvoir en Egypte, arme de combat au Japon et en Chine, l’éventail reste avant un instrument aux multiples usages, tout en s’imposant comme un moyen efficace de se rafraîchir pour les hommes comme pour les femmes.

C’est en Europe que son usage se féminise avant de tomber en désuétude. Mais c’était sans compter l’émergence de contre-cultures au style bien défini qui n’hésitent pas à puiser dans les archives de la mode pour se façonner une garde-robe aux références bien pensées.

Avec les années 80, naît notamment dans les boites de nuits la culture queer du voguing et du ballroom qui se caractérise, entre autres, par un retournement vindicatif des stigmates discriminant la communauté LGBTQ+.

 

Talons vertigineux, robes ultra-courtes, maquillage exubérants, plumes de couleurs et bijoux extravagants : parmi les instruments stylistiques que se réapproprient les aficionados du voguing, l’éventail occupe une place prépondérante, s’affichant comme un accessoire de style comme un élément à part entière de la chorégraphie exécutée lors de ses concours de danse à forte caution identitaire.

On le déplie, on le claque, on le secoue avec aplomb. Il est une manière d’accentuer ses mouvements, d’affirmer son attitude et de distinguer dans la culture gay dès les années 90, et plus généralement dans le vestiaire noctambule de ces années marquées en parallèle par la démocratisation des musiques électroniques.

"Les éventails représentent l’acceptation de soi et le fait d’être résolument soi dans une société qui n’est pas toujours prête à l’accepter", commentait en 2017 Nikos Giannopoulos, un instituteur américain qui a eu l’occasion de poser avec le couple Trump - éventail de dentelle à la main - alors qu’il était nommé "éducateur de l’année".

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L'éventail, un totem festif

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Avec le revival Y2K et la vulgarisation de la culture rave, l’éventail s’invite alors dans les grands rassemblements populaires que sont alors devenus les festivals et soirées électro, la foule compressée trouvant dans l’éventail un moyen de se rafraîchir comme de se distinguer.

Impossible d’ailleurs pour les organisateurs de festival de faire l’impasse sur ce goodies, qui se doit d’être floqué du nom de l’évènement tel un totem qui fera, par la suite, office de cadeau souvenir.

J'ai eu l'idée d'utiliser un éventail, et c'est devenu très vite un accessoire indispensable - Karl Lagerfeld 

Même les superstars de la culture pop s’y mettent, avec en 2016 Rihanna le convoque pour en faire une pièce maitresse de son défilé Fenty x Puma, ou plus récemment Beyonce - en tournée pour son album Renaissance composée en hommage à la communauté queer - qui proposera dans son merch des éventails XXL floquée de la pochette de son disc déjà mythique.

De quoi assurer un revival durable à cet accessoire (presque) aussi vieux que l’humanité, dans un monde post-covid qui ne demande qu’à festoyer.

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