Les mouvements de contre-cultures existent-ils toujours ? À l’heure où le moindre algorithme Instagram est érigé au rang de directeur artistique, que les vitrines des boutiques de luxe prennent des airs de rave party et que la fast-fashion se met à la seconde main, difficile de savoir où se situe désormais la limite entre culture mainstream et culture contestataire.

Car telle est l’essence même d’une contre-culture finalement, a fortiori de son pendant vestimentaire : une opposition consciente et délibérée à l’air du temps dominant, exprimée par un petit groupe de personnes, dans un temps et un espace donnés.

Problème : qu’en reste-t-il lorsque ses signes distinctifs sont récupérés par la société dans son ensemble pour se voir diffusés et adoptés par de larges pans de la population au point de se normaliser ?

Autrefois stigmatisés, aujourd’hui banalisées, certaines sous-cultures ont infusé la mode et les tendances de leur époque au point de voir leur authenticité se faire absorbée par une industrie les déclinant à grande échelle.

Des hippies au punk en passant par la culture ballroom et le hip-hop : passage en revue de ces courants vestimentaires omniprésents dans la mode contemporaine mais dont on a parfois perdu de vue la singularité.

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Les Mods, les premiers hipsters

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Jeunes urbains britanniques au pouvoir d’achat non négligeable et au lifestyle hédoniste, les "modernistes" britanniques de la fin des années 50 font de leur apparence vestimentaire ostentatoire l’ultime vitrine symbolique de leurs valeurs et éthiques.

Aux antipodes des rockers cuirés et américanisés, ces obsessionnels du cool affichent une silhouette d’inflexion européenne ultra-sophistiqué, convoquant costumes imprimés, jeans cigarette, pulls en cachemire, chemises boutonnées au col et cravates ultra-fines.

 

Ils se chaussent de Chelsea boots ou de Clarks, se coiffent à la manière des acteurs de la Nouvelle Vague et s’enveloppent dans des ex-parkas militaires pour enfourcher leur Vespa.

Les filles ont parfois les cheveux (très) courts et les cils (très) longs comme Twiggy, adoptent les scandaleuses mini-jupes de Mary Quant, piquent les vêtements des garçons et battent le pavé de chaussures plates.

Bref, les Mods c’est le look Swinging London de la mode des années 60, celui des Yéyés parisiens de l’autre côté de la Manche et, plus récemment, le parti-stylistique de bon nombre de marques de prêt-à-porter façon Claudie Pierlot. Un simple coup d'œil à leurs collections de la prochaine saison suffira à le confirmer.

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Les hippies, aux origines de la seconde main et de l'appropriation culturelle

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Prônant le rejet de la société de consommation, la fin de la propriété individuelle (y compris celle des fringues) et la préservation de la nature, les hippies privilégient dès les années 60 le troc, les dépôts-vente et l’achat de vêtements seconde main, quand ils ne se contentent pas tout simplement de  récupérer ou réparer des pièces textiles usagés à grands renforts de patchs et de broderies.

En contestation à la suprématie occidentale, ils adoptent des pièces inspirées des traditions indiennes, africaines ou sud-américaines, ponctuant leur look de ponchos à motifs oversize, de boots en kilim, de vestes en daim, de blouses et tuniques brodées ou encore de robes tissées.

Le denim industriel toutefois résiste, mais se révèle sous sa forme la plus relâchée : ample façon pattes d’eph, délavée à l'extrême et frôlant le sol avec nonchalance.

Quant à la veste militaire aux relents autoritaires, elle est customisée, déconstruite, agrémentée de messages pacifiques et se porte de façon ironique. Les matières privilégiées sont majoritairement naturelles avec une inflexion particulière pour la laine et le coton, tandis que les couleurs et motifs oscillent entre ôde à la nature et inspirations psychédéliques.

Les motifs floraux bucoliques côtoient ainsi le tie-dye graphique, les jeux de transparence sensuels se doublent de l’épaisseur d’un tricot en crochet, et la fluidité des lignes se conjuguent sur le mode de la superposition.

Mais, comme dans tout mouvement de sous-culture, c’est dans les détails que se joue le style, les hippies cumulant chapeaux de feutre, écharpes ultra-longues, foulards en guise de headbands et bijoux traditionnels écumés au fil de leur voyage ou de leurs chines.

Une dégaine à la Woodstock que l’on retrouvera près d’un demi-siècle popularisé par des initiatives aux ressorts bien plus capitalistes tels que le festival de musique Coachella et, plus généralement, les enseignes de fast-fashion qui ont largement contribué à démocratiser la silhouette "boho".

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Les Punks, ou quand le vêtement prône le renversement de société

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Face à l’échec révolutionnaire des babas-cool et le chômage massif qui ravagent les économies capitalistes, l’heure est au durcissement du look et des valeurs, aux antipodes du doucereux peace and love.

Exit la célébration de Mère Nature, les punk façon Sex Pistols abordent dès les années 70 des matières synthétiques et industrielles (cuir, denim, polyester, vinyl, nylon), des couleurs et motifs ostentatoires (tartan, lamé, léopard, fluo) et revendique un mauvais goût anti-matérialiste.

Déchiré, troué, rapiécé, bariolé, parfois (faussement) ensanglanté : le vêtement se veut un acte de défiance au système établi sous sa forme la plus violente, quitte à puiser ses références dans une variété de sous-cultures ultra-marginalisées telles que le sadomasochisme (harnais, bustiers, résilles), l’anarchisme voire de l’autoritarisme militaire (treillis, vestes kaki et rangers à lacets).

Le cynisme et le second degré sont aussi des composantes à part entière de ses armures urbaines, avec des messages tantôt provocants tantôt insultants, des renversements de genre à la limite du burlesque (hommes en jarretières ou tutu) et des détournements d’objets du quotidien comme l’épingle à nourrice, la chaîne de vélo ou encore les clous et pointes métalliques.

Un look diffusé, entre autres, par la boutique Sex de Malcolm McLaren et Vivienne Westwood à Londres, avant que cette dernière n’en fasse ironiquement les bases stylistiques de l’une des maisons de couture les plus respectées de l’industrie du luxe.

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Le ballroom, de l’opulence aux frontières des genres

Paris is Burning

Façonnée par les communautés LGBTQ+ des quartiers latinos et afro-américains de New York City, l’esthétique grandiloquente du ballroom n’a cessé d’influencer la mode des années 80 au point de faire l’objet du thème du Met Gala en 2019 avec son exposition Camp.

Extravagante, festive, créative, singulière : le dress code flamboyant se veut allègrement too much et anachronique, mixant les tendances et influences temporelles, mais surtout gender-fluid, codes masculins et féminins se fondant au profit d’une identité queer opulente et décomplexée.

Dans ces réunions clandestines que donne notamment à voir le mythique film Paris is Burning de Jennie Levingston, les pièces sportswear se jouxtent de costumes de scène théâtrales, une silhouette Renaissance succède à un total-look de plumes et de paillettes, les volumes se font excroissances corporelles et les teintes fluo côtoient imprimés animaliers et matières précieuses.

Un hymne à la libre exagération que l’on retrouve à l’époque sur les podiums de créateurs en vogue comme Thierry Mugler, Claude Montana ou encore Jean Paul Gaultier qui a l’époque dessine les costumes de scène de Madonna, cette dernière se réappropriant alors le célèbre voguing des ballroom.

Une esthétique qui ne cessera d’accompagner le vestiaire festif underground, des rave party des années 90 jusqu’aux "soirées électro" embourgoisées de la scène noctambule contemporaine.

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Le Hip Hop, de la rue au catwalk

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Fluctuant et multiforme, le courant hip-hop distille dès la fin des années 70 une esthétique urbaine, entre influences de la culture rasta-jamaïcaine des quartiers afro-américains, références tribales africaines et essentiels du vestiaire sportswear.

Mais c’est surtout avec les années 90 que cette contre-culture atteindra son paroxysme stylistique, avec notamment l'avènement hégémonique de sa musique sur la scène internationale.

Les rappeurs s’affichent en pantalon et t-shirt XXL, caleçon ostensiblement apparent, et hoodie molleton, le tout agrémenté de logos omniprésents, de baskets de collection et de casquettes à la visière rigide.

Salt N' Pepa dans leur clip

En France, le survêtement tantôt en nylon tantôt en coton se porte de façon intégrale, tel un uniforme citadin que l’on agrémente d’une simple banane ou de LA paire de sneakers du moment.

Aux Etats-Unis, les rappeuses et chanteuses de R’n’B féminisent l’allure de top-cropped et de brassières sportives, de pantalons ultra-tailles basses ou encore de bandana portés en fichu.

Puis avec les années 2000, la sous-culture contracte doucement mais surement une solide union avec l’industrie du luxe, des dégaines bling-bling à la Snoop Dogg (bijoux en or, diamants, manteau de fourrure) au télescopage du streetwear sur les podiums de maisons de luxe telles que Dior, Louis Vuitton ou encore Balenciaga qui n'hésitent pas à faire des rappeurs en vogue leurs mannequins et ambassadeurs. Et à faire l’ex-uniforme d'une jeunesse marginalisée en ultime comble du luxe.

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Les Mods, contre-culture mode des années 60

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Les Mods, contre-culture mode britannique des années 60

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Les Mods, contre-culture mode des années 60

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Les hippies, la contre-culture mode flower power

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Les hippies, la contre-culture mode flower power

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Les hippies, la contre-culture mode flower power

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Les punks, "sous-culture" mode des années 70

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Les punks, "sous-culture" mode des années 70

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Les punks, "sous-culture" mode des années 70

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La mode dans la scène ballroom des années 80

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La mode dans la scène ballroom des années 80

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La mode dans la scène ballroom des années 80

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La mode dans le mouvement hip-hop des années 90

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La mode dans le mouvement hip-hop des années 90

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La mode dans le mouvement hip-hop des années 90

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