De la fin des Lumières aux émissions de relooking, le concept de morphologie a été utilisé à des fins très variées. Élément scientifique, support pour des théories racistes nauséabondes ou injonction sexiste…
Finalement, ses évolutions nous renseignent plus sur l’état de la société que sur celui des corps.
18e siècle : conceptualisation du concept de morphologie
La morphologie, c'est l'étude de la structure externe d'un animal, d'un humain ou d'une plante. Ce mot, combiné du grec morphê (forme) et lógos (discours) est inventé en 1790 par le poète et naturaliste Goethe.
Le concept peut aussi être appliqué à la littérature, en étudiant la forme des mots, ou à l’urbanisme, en décryptant les formes et l'étalement des villes.
Mais c'est sur son sens le plus courant, associé à la forme des corps humains, que nous allons nous pencher.
19e siècle : la porte ouverte au racisme
Malheureusement, l’étude de la morphologie humaine a vite mené à des dérives désespérantes. Particulièrement au 19e siècle, où des anthropologues ont essayé de démontrer l’existence de races supérieures et inférieures.
Ils tentaient d’apporter des preuves "scientifiques" à leur racisme en instrumentalisant des éléments morphologiques, comme l’explique Gilles Boëtsch, directeur de recherche au CNRS. Notamment avec la discipline de la craniométrie, qui consistait à mesurer des crânes pour prouver que les européens étaient plus intelligents.
Ces tentatives nauséabondes ont vite été démontrées comme fausses, dès la fin du 19e mais aussi au début du 20e siècle, notamment par le scientifique Franz Boas.
C’est aussi pendant le 19e siècle que des historiens projettent leur misogynie sur l’étude de l’histoire, en identifiant par exemple des squelettes préhistoriques féminins comme étant masculins, car leur stature semblait trop robuste pour être celle d’une femme.
Sauf que, comme l’ont démontré les recherches modernes, les différences de morphologie qu’on peut observer entre hommes et femmes, notamment au niveau de la taille, ne relèvent pas d’un fait naturel.
C’est plus une explication historique qui est à prendre en compte.
La morphologie homme/femme : un fait naturel ?
L’historienne Marylène Patou-Mathis, autrice de L'homme préhistorique est aussi une femme, explique dans une interview que des analyses récentes du collagène de squelettes du Paléolithique ont prouvé que les corps "masculins" et "féminins" avaient souvent des statures similaires.
Comme dit plus haut, de nombreux squelettes féminins avaient été mal classés au 19e siècle. C’est surtout à partir du Néolithique qu’une différence est apparue.
Claudine Cohen, philosophe et historienne des sciences, explique sur France Culture qu'à cette période de sédentarisation, les femmes ont sûrement été assignées à la reproduction. Pour être soumises, elles étaient sous-nourries et sélectionnées comme partenaires reproductives par les hommes si elles étaient perçues comme nettement plus faibles physiquement.
20e siècle : une suite de tendances impossibles à suivre
Au-delà de cette différence, on constate que les femmes sont ramenées à la forme de leur corps et à l’importance de l’adapter aux normes à travers toute l’histoire.
Un exemple frappant est l’évolution rapide des canons de beauté rien qu’au siècle dernier : avec les flappers des années 20, les femmes devaient masquer leurs courbes au maximum pour une allure garçonne, l'âge d'or d’Hollywood dans les années 50 qui célébrait au contraire des hanches et une forte poitrine, la minceur des années 60 avec Twiggy, puis la tonicité des années 80.
Et enfin, l’obsession de l'extrême minceur des années 90 avec le mouvement heroïn chic, qui s’est peu améliorée depuis dans la mode.
La survalorisation de morphologies aussi différentes entre chaque décennie faisait peser des objectifs hors d’atteinte, et donc excluants, sur les femmes.
21e siècle : des catégories réductrices
Sous les feux des injonctions, la morphologie idéale en 2023 semble être plus inatteignable que jamais : jambes et taille élancées, mais poitrine et hanches très généreuses. Et à défaut de ne pas se conformer à la morphologie dominante du moment, les femmes se retrouvent enfermées dans des types de morphologie (en X, en A, en V…) qui n’ont rien d’une approche scientifique.
Les morphologies "en lettres", ont été popularisées dans les années 2000.
Par exemple avec les émissions de relooking de la styliste Cristina Cordula, qui attribuait une tenue aux participantes selon leur corps.
Mais plus qu’un conseil utile, renvoyer constamment une personne à la forme de son corps pour déterminer son style (en plus selon une catégorie qui efface la diversité des corps humains) est une injonction qui risque de brider sa créativité vestimentaire.
On vous propose donc de porter les pièces qui vous font vous sentir bien, peu importe votre gabarit.