Née au Palais Corsini à Rome en 1890, Elsa Schiaparelli, qui n’est autre qu’une fille d’universitaires et descendante des Medicis, étudie la philosophie et écrit des poèmes érotiques dans ses jeunes années. Une audace qui lui vaut d’être poussée à entrer au couvent en Suisse, où elle entamera une grève de la faim. E
Elle part pour Londres en 1910, à tout juste 20 ans. Elle y rencontre Wilhelm de Wendt de Kerlor qu’elle épousera deux ans plus tard. Après un déménagement aux Etats-Unis et la naissance de leur fille atteinte de poliomyélite, elle demande le divorce.
Désargentée, car vivant sur sa dot et les traitements pour sa fille étant chers, Elsa Schiaparelli s’installe à Paris et se lie d’amitié avec les dadaïstes et se prend de passion pour les marchés aux puces et les antiquaires.
Même si elle ne sait pas coudre, elle se découvre un goût pour la mode après un passage chez Paul Poiret et décide de lancer sa propre marque en 1927, dans son appartement de la rue de l’Université.
Le succès immédiat du pull trompe-l’oeil
Pour première création elle choisit de présenter un pull-over à motif trompe-l’oeil, qui connaît un succès immédiat. Elsa Schiaparelli le décline en noir et blanc, noir et couleurs vives, à motifs de nœud, de formes géométriques, de squelette, de cœurs transpercés, de tatouage de marin ou de tortue abstraite… Un si grand succès que ce pull est adopté par actrices et célébrités de l’époque, et qu'un magazine américain en publie le patron sans mentionner le nom de la créatrice. Vogue le qualifie même de chef d’œuvre.
Par la suite, elle ouvre à Paris son premier magasin "Pour le Sport", au 4, rue de la Paix. L’année qui suit, les collections de maille sont complétées par des pyjamas de plage, costumes de bain, ensembles sportswear en tweed, tenues de ski et robes du soir. Un premier parfum, baptisé "S", est également lancé. Par superstition, Elsa Schiaparelli décide de nommer la plupart de ses parfums par un nom commençant par la lettre S.
Une couture visionnaire et bien entourée
En 1929, elle est la première à utiliser des zips visibles en Haute Couture, qui sont à la fois décoratifs et fonctionnels. Visionnaire, elle anticipe la politique des licences pour développer sa marque. Une stratégie qui deviendra la norme dans l'industrie de la mode quelques années plus tard.
En femme moderne et innovante, elle dépose un brevet pour un maillot de bain une pièce à soutien-gorge intégré, un principe qui sera ensuite décliné pour des robes. Avant-gardiste, elle est la première à proposer un robe portefeuille en Haute Couture, ainsi qu’une veste du soir : une longue robe du soir noire est associée à une veste portefeuille blanche.
Un nouveau style est né pour les élégantes : porter une robe longue avec une veste. Et puisque c’est l’année des premières fois, elle signe sa première collaboration avec un artiste, Elsa Triolet qui crée le collier "aspirine" en perles de porcelaine, et écrit son premier article publié dans un magazine américain.
Toujours désireuse d'innover et de surprendre, elle collabore, au cours des années 1930, avec des artistes surréalistes, dont Salvador Dalí, qui crée, pour une de ses robes du soir en organdi portée par Wallis Simpson, un tissu orné d'un homard, ainsi qu'avec Jean Cocteau ou Alberto Giacometti, qui dessinaient également pour elle des objets, des motifs, des décors ou des accessoires.
Ce qui lui valu de compter Arletty, Marlène Dietrich, Greta Garbo ou encore Lauren Bacall parmi ses plus fidèles clientes. Multipliant les inventions à l’instar des tailleurs à épaules marquées (ancêtre du power suit), des coupes aérodynamiques données par des volants savamment placés, des chapeaux excentriques (tel le Mad Cap, tellement copié qu’Elsa aura presque le regret de l’avoir créé) et les coups d’éclat, elle imagine en 1931 la jupe-culotte, qui fait scandale en Angleterre. Elle use et abuse des couleurs vives, dont son fameux rose, qu’elle baptise "rose shocking" et qui devient l’une de ses signatures.
En 1934, elle devient la première femme créatrice de mode à avoir l’honneur de faire la couverture du Time Magazine. L’article la présente comme "l’un des arbitres de la Haute Couture ultra-moderne". Un an plus tard, la maison de couture emménage à l’Hôtel de Fontpertuis, situé 21, place Vendôme.
Un doux parfum de scandale et d’excentricité
On l’aura compris, le scandale ne déplait pas à Elsa Schiaparelli. Si bien qu’en 1936 elle lance le parfum Shocking, dont le flacon représente un torse de femme moulé sur celui de May West, le sex-symbol hollywoodien de l’époque.
Emplie d’une créativité débridée, elle fait de chaque défilé un spectacle où elle soigne autant l’éclairage que la décoration, la musique ou la chorégraphie et donne des noms à ses évènements; "Païenne", dans lequel apparait le motif feuille de lierre mythique, "Astrologique" et son motif Ursa Major représentant la Grande Ourse si chère à la couturière, ou encore le très marquant "Le Cirque".
Nous sommes alors début février 1938, en pleine exposition internationale du surréalisme aux Beaux-Arts de Paris et Elsa Schiaparelli présente une incroyable collection aux motifs brodés de chevaux d’acrobates et d’éléphants, mais aussi de fantasques bottes en poils de singe. Au premier rang se mêlent têtes couronnées, stars de cinéma, riches excentriques, des politiques.
Après-guerre, apogée et désenchantement
En 1940, Elsa Schiaparelli décide de quitter un Paris occupé pour New York et confie sa maison de couture à son bras droit afin que la société puisse continuer à maintenir son rôle économique et social. Très investie pour la France Libre, elle multiplie les multiples initiatives outre-Atlantique.
Elle reprend les rênes de sa maison dès la fin de la guerre. Deux ans plus tard, un certain Hubert de Givenchy est engagé pour assurer la direction artistique de la boutique. Il reste quatre années avant de lancer sa propre maison de couture. En 1946, en phase avec les femmes qui voyagent de plus en plus, Elsa Schiaparelli fait sensation avec la garde-robe Constellation : 6 robes, 1 manteau réversible, 3 chapeaux pliables, le tout pour moins de 6 kg.
Trois ans plus tard, en dépit de la grève d’une partie des ateliers, elle présente sa collection avec des modèles montrant épingles, fils de bâtis et échantillons de couleurs. L’audace et l’allure jeune de la collection lui assurent un grand succès. En 1953, elle imagine les costumes de Zsa Zsa Gabor pour le film Moulin Rouge de John Huston.
Un an plus tard, malgré les bonnes ventes de ses parfums et le succès de ses premières lunettes griffées, la créatrice constate que le monde de la Haute Couture a changé. Elle décide donc de fermer sa maison de couture pour se consacrer à son autobiographie "Shocking life". Elle meurt dans son sommeil en 1973.
La renaissance de Schiaparelli
Après des décennies à jouer les belles endormies, la maison Schiaparelli est rachetée en 2006 par Diego Della Valle, propriétaire de Tod’s. Six ans plus tard, les ateliers ré-ouvrent à l’Hôtel de Fontpertuis, là où leur créatrice les avait laissés. Et c’est Marco Zanini qui est nommé à la tête de la direction artistique des collections Haute Couture et Prêt-à-Couture.
La même année, l’inauguration de l’exposition "Schiaparelli and Prada: Impossible Conversations" a lieu au Metropolitan Museum of Art de New York. Celle qui suit, durant la fashion week haute couture parisienne, la maison présente enfin son premier défilé Haute Couture depuis 1954. Le discret Bertrand Guyon prend la relève à la tête de la création en avril 2015.
Quelques saisons plus tard, Schiaparelli retrouve l'appellation officielle Haute Couture décernée par le Ministère de l'Industrie et la Fédération Française de la Couture. Enfin, en 2019, le Texan Daniel Roseberry est nommé directeur artistique de la maison. Parmi les célébrités portant du Schiaparelli, on retrouve les flamboyantes Beyoncé, Michelle Obama, Emilia Clarke, Celine Dion et Lady Gaga pour ne citer qu’elles.