Adieu les filtres qui donnent un joli grain à tout type de paysage et lissent les traits du visage à la perfection. Autrefois vitrine de nos vies et minois parfaitement maîtrisés, Instagram voit ces derniers mois, le confinement aidant, une tendance plus naturelle et spontanée dans nos mises en scène, entre des stories prises sur le vif et clichés où l’on s'affiche sans maquillage. Et sans retouches.

Bienvenue dans l’ère de la skin positivity, pendant salutaire du body positivism,un mouvement qui veut aider les femmes sujettes aux problèmes de peau (acnérosacéeeczéma...etc.) à se réconcilier avec leur image et les complexes qui en découlent.

Nota bene : à l’heure où nous écrivons ce sujet, le hashtag #SkinPositivity dépasse les 137 348 occurrences sur Instagram.

Quand nos problèmes de peau nous font souffrir

"Pourquoi voudrais-je me montrer 'sans défaut' ? Je préfère encore mieux être moi-même", peut-on ainsi lire sous un post labellisé #SkinPositivity qui comptabilise près de 15 000 likes. Mais oui après tout, pourquoi ?

Le fait de partager des photos de sa peau mise à nue, sans fards ni filtres, réjouit en tout cas Mathilde Lacombe, la co-fondatrice de AIME Skincare qui prône la bienveillance envers soi-même à travers le soin de soi plutôt que le camouflage par le maquillage.

Elle-même n’a pas hésité à poster des photos de sa rosacée, qu’elle a réussi à juguler en changeant à la fois son mode de vie et ses habitudes de soins. "Quand j’ai partagé ces photos avant/après, il semble que j’aie aidé des femmes à se dire que ce n’était pas définitif et qu’on pouvait trouver des solutions. On prend ainsi conscience que notre peau est vivante, que l’on connaît toutes des imperfections à un moment donné et que ce n’est pas grave. Oui ! Une peau a des rides, des pores, des rougeurs, des boutons… C’est normal !"

Si l’acné touche environ 80% des adolescent.e.s et près de 40% des femmes adultes1, de nombreuses études montrent que les personnes qui en souffrent présentent des symptômes d'anxiété et de dépression et ont tendance à se dévaloriser2. "Trop de femmes souffrent de leurs problèmes de peau, déplore Mathilde Lacombe. Bien que superficiels, ils peuvent avoir une incidence énorme sur le plan psychologique et social, au point de ne plus vouloir sortir de chez soi et se montrer aux autres."

Oui ! Une peau a des rides, des pores, des rougeurs, des boutons… C’est normal !

Auteur de La Société du paraître (éd. Odile Jacob), le sociologue Jean-François Amadieu se réjouit lui aussi de ce mouvement. Toutefois, il relativise sa portée. "Ces photos ne sont pas l’essentiel de ce qui est proposé sur les réseaux sociaux ou dans les magazines aujourd’hui. Néanmoins, elles ont le mérite de libérer la parole sur les problèmes de peau et, espérons-le, de limiter les difficultés psychologiques que rencontrent les jeunes, ainsi que les cas de harcèlement."

Une récente étude menée sur les conséquences de l’eczéma le montre : près de la moitié des malades (45%) ont déjà fait l’objet d’une forme d’exclusion ou d’opprobre de la part de leur entourage et 38% des patients ayant un eczéma visible rapportent une forme de harcèlement ou d’agression3. "Rides, taches, boutons… Les jugements sur la peau n’ont jamais été aussi importants que dans notre société de l’apparence, et cela s’est amplifié avec les réseaux sociaux, déplore le sociologue. De nombreuses études internationales révèlent qu’aujourd’hui encore, on a plus d’amis ou on est plus facilement recruté par un employeur si l’on affiche une peau parfaite."

S'afficher sans filtre pour normaliser les imperfections

L'émergence du mouvement a été rendue possible par des "activistes" ultra connectées, qui n'hésitent pas à prendre d'assaut les réseaux sociaux en créant des comptes dédiés pour libérer la parole sur le sujet, et surtout poster des clichés de leurs visages constellés de boutons, cicatrices et autres taches. En 2018, Lou Northcote a ainsi lancé @Freethepimple, dont le but est de normaliser et déstigmatiser l'acné. Mais elle n'est pas la seule et de nombreux "anonymes", portés par la force du groupe, s'emparent eux aussi de plus en plus du phénomène.

Autre figure de proue de la skin positivity : le photographe Peter De Vito. À travers de sublimes portraits, l'artiste new-yorkais entend faire changer le regard sur les problèmes de peaux et la façon dont les industries de la mode et de la beauté notamment, n'aident en rien à faire avancer les choses en continuant à user et abuser de Photoshop.

38% des patients ayant un eczéma visible rapportent une forme de harcèlement ou d’agression.

"Depuis toujours, la société nous conditionne à croire qu'il faut avoir une peau parfaitement nette et sans porosité, expliquait-il en 2018 au magazine I-D. Il suffit de regarder la majorité des magazines ou des publicités qui ne parlent que de la façon de se débarrasser de l'acné, ils ne vous rassurent jamais sur le fait qu'il est normal d'en avoir. Cela amène les gens à se dévaloriser. C'est la même chose avec la retouche photo, cela conditionne la société à créer des normes de beauté irréalistes. Lorsque les gens ne respectent pas ces normes idéalistes, cela les amène à douter d'eux-mêmes et à croire qu'ils ne valent rien."

Des célébrités, à l'instar de Kim Kardashian, Kendall Jenner, Lili Reinhart, Selena Gomez, Adwoa Aboah, participent aussi à son essor, mais leurs interventions restent plus ponctuelles. En France, l'influenceuse beauté EnjoyPhoenix ou encore l'ex-miss France Marine Lorphelin n'hésitent pas aussi à faire passer des messages positifs à leur communauté à l'occasion.

L'industrie cosmétique priée de revoir ses promesses de "crème miracle" 

Pourtant, "Il reste encore beaucoup d’éducation à faire encore pour trouver les racines du désordre cutané, plutôt que de le 'cacher' avec des produits décapants ou des silicones camouflants. Car comprendre l’origine d’un problème pose souvent les bases d’une meilleure acceptation", analyse Jean-François Amadieu.

Comment cela se traduit-il chez les marques de cosmétiques, justement ? À l’instar du green washing, certains s’emparent déjà du phénomène dans un plan marketing bien rôdé, d’autres affichent des campagnes "transparentes" avec des photos de peau nue non retouchée.

"Sincère ou pas, cela a le mérite de faire avancer le débat, positive Juliette Lévy, fondatrice de Oh My Cream. Ça devient démoralisant de chercher à avoir une peau idéale qui n’existe pas, contrairement à ce qu’on voit dans les publicités. Même avec un entourage bienveillant, les médias et la société jouent un rôle essentiel dans l’image de soi."

Côté produits : il n’est plus question de clamer la découverte d’une crème miracle, mais on met en avant des formules simples qui améliorent la qualité de la peau en la purifiant, en l’hydratant intensément ou en boostant son glow. Et c’est déjà pas mal !

Chez les nouvelles marques qui cartonnent sur les réseaux, comme AIME Skincare, Oh My Cream, Krème ou encore Skin and Out, pas de recommandations culpabilisantes ou d’injonctions frustrantes ! Cela se traduit par un retour aux basiques pragmatiques : des compléments alimentaires qui assainissent la peau de l’intérieur, des soins visage clean et efficaces agréables à utiliser et surtout, un message ultra bienveillant et positif. Car comme le résume Juliette Lévy : "Une femme qui a confiance en elle est une femme qui rayonne naturellement."

1 - Ann Dermatol Venereol. 2010 Nov;137 Suppl 2:S49-51. doi: 10.1016/S0151-9638(10)70024-7. [Recent data on epidemiology of acne]. Dréno B.
2 - The psychological and emotional impact of acne and the effect of treatment with isotretinoin. Br J Dermatol 1999; 140:273-82. Kellett SC, Gawkrodger DJ.
3 - Étude Ifop / Sanofi Genzyme "Les Français face à l’eczéma" - Janvier 2020.

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