Charles de Vilmorin a déboulé en plein confinement, jeune prince de 23 ans aux atours de feu, archange d'Instagram. Les modèles de sa première collection Couture, issus de la marque à son nom qu'il venait tout juste de lancer, ont immédiatement suscité l'engouement.

Comment résister à ces blousons multicolores, à ces robes imprimées, à ces volumes outrés ? L'attrait pour les images qu'il dévoile alors sur les réseaux sociaux est, de fait, irrépressible. La presse s'emballe. La mode a trouvé son enfant prodige et tricote sans relâche depuis son conte de fées au temps du Covid.

Charles de Vilmorin, le petit prince flamboyant de Rochas

On voit en lui du Jean-Charles de Castelbajac pour le côté graphique, du Niki de Saint-Phalle pour les couleurs sans complexe. On le trouve juvénile comme Yves Saint Laurent à ses débuts.

On admire son physique de jeune premier romantique, timide, un peu hors du temps. Surtout, on souligne qu'il a su raconter, au moment où l'on en avait le plus besoin, une histoire de fougue et de joie, d'excentricité et de fraîcheur.

Son patronyme – il est un parent de l'écrivaine Louise de Vilmorin – le pare d'une aura chic, pour ne pas dire d'un petit côté "old school". Mais il est tout sauf passéiste. Au contraire, il incarne son temps à la perfection. La maison Rochas qui l'a nommé, en février dernier, directeur artistique ne s'y est pas trompée.

Il s'emploie depuis à réveiller cette belle endormie, à mettre son imaginaire total et sa liberté dans chacune des pièces qu'il dessine. Notons qu'il a aussi été cette année finaliste du LVMH Prize

Rencontrer Charles de Vimorin – 24 ans aujourd'hui –, c'est donc approcher la "sensation du moment". Le cas d'école. Celui dont on étudiera sûrement le parcours dans les cursus de mode pour tenter de comprendre comment tout ça a pu avoir lieu si vite, si fort. Le plus fou dans tout ça ? Sa simplicité confondante et son désir de faire les choses avec naturel. Interview.

Apporter de la fraîcheur

Marie Claire : Dans quel état avez-vous abordé votre défilé Rochas, qui a eu lieu le 29 septembre dernier ?

Charles de Vilmorin : C'était mon premier show, le premier de toute ma vie ! J'étais donc stressé et extrêmement excité.

C'est en février dernier que la maison Rochas annonçait vous nommer directeur artistique. Quel parcours fulgurant !

J'ai toujours dit que ce serait un rêve de reprendre une maison avec un passé comme ça, mais avec un potentiel, une vraie liberté créative. C'est une marque qui a une très belle histoire mais qui n'est pas écrasée par les codes non plus. Cela laisse une vraie place à l'imagination. Je ne pensais pas que cette proposition arriverait aussi rapidement. C'est le rêve d'une vie.

Que voulez-vous insuffler à cette marque prestigieuse mais un peu passée au second plan ces dernières années ?

Chez Rochas, il y a quelque chose d'assez classique, de très français, d'un peu couture. Mon objectif est d'apporter, en plus, de la fraîcheur.

Comment tout cela a-t-il commencé ? D'où vous vient ce désir de mode ?

Petit, je voulais être metteur en scène de théâtre parce que cela faisait appel à la musique, aux images, aux vêtements, aux lumières, etc. Plus j'ai grandi, plus j'ai commencé à m'intéresser à la mode et à me rendre compte que c'était ça, mon truc. J'ai étudié quatre ans à la Chambre syndicale de la Couture parisienne. Et j'ai monté ma marque quelques mois après.

Vous racontez cela comme si tout était normal…

Je ne pensais pas créer ma marque tout de suite, mais un collectionneur m'a contacté pour acheter des vêtements que j'avais élaborés pendant mes études. Du coup, j'ai eu la possibilité de produire quelques modèles et de lancer ma société. Je n'ai pas hésité deux secondes.

Vous aviez cet objectif depuis toujours ?

Ah oui, bien sûr ! J'ai fait ça très instinctivement. J'ai toujours eu une vision très précise de ce que je voulais faire. Une fois le projet dévoilé sur Instagram, à cinq jours du premier déconfinement, tout s'est enchaîné très vite…

Je dois reconnaître qu'il y a tout un storytelling qui s'est mis en place. Le journaliste Loïc Prigent est venu me filmer dans ma petite chambre. Ça avait un côté un peu arty : le mec qui fait ses trucs dans sa mansarde… Bon, tout ça a peut-être été un peu romancé.

Je n'ai pas été élevé dans une famille richissime mais dans une famille très riche par sa culture

Quand vous vous êtes lancé, avez-vous pris en compte les enjeux écologiques dans votre "business model" ?

Bien sûr, depuis le début. Je veux produire à la commande, sans faire des stocks faramineux pour rien. Après, c'est vrai que, cette année, je me suis aussi rendu compte de la réalité des choses : quand quelqu'un commande une veste, ça prend du temps à produire, ça peut générer de la frustration. Il va peut-être falloir que j'aie parfois un peu de stock.

Par ailleurs, je ne me sers que de tissus inutilisés par d'autres marques. Une démarche très naturelle pour les gens de ma génération. Je vais m'employer à mettre cela aussi en place chez Rochas. L'avantage, c'est que c'est une maison où tout est fait dans les ateliers, avec une dimension presque couture. C'est vertueux en soi.

Vous pensez et maîtrisez tout, les vêtements, les images, les films… Vous êtes un peu "control freak", non ?

Complètement, je contrôle tout ! J'adore les vêtements mais ce qui m'intéresse, c'est l'univers qui est construit autour de la collection. Les visuels, les images, c'est super-important pour moi.

Quel genre d'enfance avez-vous eu pour être aussi créatif ?

J'ai eu un cadre familial très ouvert, très cultivé artistiquement. Je n'ai pas grandi à Verrières-le-Buisson, dans le château de Louise de Vilmorin, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là. C'est complètement faux ! Je n'ai pas été élevé dans une famille richissime mais dans une famille très riche par sa culture. Mes parents m'ont toujours soutenu dans mes choix. Ils m'ont aidé. Je leur parle de la mode depuis toujours.

Avez-vous toujours été d'une telle précocité ?

Non, j'étais nul au lycée, je n'avais pas le sentiment d'être en avance. En revanche, j'ai toujours eu un univers intérieur très développé. D'ailleurs, mes amis ont tous, eux aussi, des choses à dire. Je suis entouré de gens curieux et qui ont des trucs à exprimer.

À qui pensez-vous quand vous dessinez vos vêtements ?

À personne en particulier. Je suis très inspiré par mes amis, ma tribu. Je n'ai pas en tête un type de personne précis.

D'ailleurs, vous travaillez autour de la fluidité du genre… Pour vous, à quoi sert la mode ? Quel est le sens de tout ça ?

Je pense que, comme l'art, la mode est un reflet précis de son temps. D'ailleurs, quand on veut connaître une époque, on a juste à regarder les vêtements ou les œuvres d'art. La mode raconte les grandes mutations, les changements sociétaux.

Comme l'écologie, ce sont des choses évidentes pour les gens de ma génération. Rompre avec les stéréotypes de genre, ce n'est pas un élément marketing ou une stratégie, c'est juste complètement naturel. Je ne me pose pas la question.

L'art, aussi, est au cœur de vos créations…

Je dessine énormément, c'est vrai. Pendant mes études, je n'avais pas les moyens de faire imprimer des tissus. Donc la seule manière que j'ai trouvée, c'était de peindre sur des tissus blancs. C'est arrivé comme ça. J'adore ça. J'envisage le tissu comme une toile.

Comment gérez-vous ce succès fou, qui vous est tombé dessus sans prévenir ?

L'avantage, c'est que tout ça s'est passé dans une période très particulière (le confinement, ndlr), sans contact humain, très digital. Du coup, ça m'a permis de garder la tête froide, de ne pas trop me rendre compte de ce qu'il se passait. C'était virtuel.

En définitive, c'est maintenant que vous récoltez les fruits de l'année passée ?

Absolument. Je suis très très sollicité. Mais ça pousse à se dépasser encore plus pour être à la hauteur.

Vous n'avez jamais peur de vous laisser étourdir ? Ce n'est pas mon style, je suis suffisamment bien entouré pour que, si un jour il y avait le moindre dérapage, on me remette les pieds sur terre.

[J'avais des objectifs] il y a un an, mais je dois reconnaître que beaucoup d'entre eux se sont réalisés

Vous avez l'impression d'être attendu au tournant ?

Oh oui ! Je le sens. Mais la direction de Rochas est très soutenante. Et moi, de mon côté, j'essaie d'être d'une grande sincérité. Si ça ne plaît pas, peut-être que la prochaine collection plaira ? Le plus important, c'est d'être sincère et de ne pas chercher à plaire à tout prix. Je ressens la pression, mais elle me motive, m'encourage à repousser mes limites. J'en fais une force plus qu'une angoisse.

Jusqu'à présent, vous avez été encensé. Vous préparez-vous à des bas ?

Il y en aura forcément. Je préférerais éviter, mais ça arrivera, c'est inévitable. Quand on regarde les carrières des grands designers, on s'aperçoit qu'il y a plein de moments compliqués mais que cela leur permet souvent de revenir en force. La mode, c'est ça, ça peut basculer du jour au lendemain, comme toutes les carrières artistiques en général.

Quels sont vos objectifs pour les mois à venir ?

J'en avais il y a un an, mais je dois reconnaître que beaucoup d'entre eux se sont réalisés. Donc mon seul objectif, maintenant, c'est de faire vivre tout ça. Et d'être à la hauteur.