C’est un nom qui a su se faire une place particulière auprès du grand public comme dans la mode.

Iris Van Herpen, créatrice néerlandaise qui a notamment fait ses armes auprès du créateur éponyme de la maison Alexander McQueen, est enfin l’objet d’une exposition d’envergure en France.

Depuis 2007, la styliste présente des collections Haute Couture unique, reflets d’une nature chimérique, qui mêlent avec agilité son savoir-faire artisanal étoffé par un travail de recherche autour des sciences et des technologies.

Une manière singulière de penser la mode, loin de l’immédiateté des tendances.

Iris Van Herpen, une exposition qui allie mode et nature

Ces dernières années, la place occupée par la mode dans les musées est un sujet qui passionne.

Une manière pour l’industrie de ne pas oublier son histoire, mais aussi de rappeler à celles et ceux qui la suivent de loin qu’elle est partie prenante de nos sociétés.

Après de nombreuses monographies, il était temps aussi de rappeler que l'industrie ne se limite pas aux profils des maisons établies.

Car si la mode traverse les époques, c’est aussi parce qu’elle a en son sein des designers à même de faire bouger ses frontières.

Iris Van Herpen est de cette catégorie et l’affluence des visiteurs de l’exposition Sculpting the senses, pensée avec la conservatrice Cloé Pitiot et l'assistante de conservation Louise Curtisne fait que confirmer la place prépondérante qu’elle occupe dans le secteur.

Une vision équilibrée de la mode en ce qu'elle a de plus traditionnel et de plus innovant. Rencontre avec une pionnière qui n’en finit pas de créer de nouveaux imaginaires. 

Marie Claire : Pouvez-vous revenir sur le titre de l’exposition. Pourquoi l’avoir choisi ?

Iris Van Herpen : J'ai une formation de danseuse, ce qui me donne un regard différent sur la mode et me fait travailler avec une approche très sensorielle des textures.

Mon partenaire est musicien, et la musique occupe donc une place importante dans mon travail, y compris dans l'exposition. Tout comme la vue et l’odeur également.

Lorsque je crée, j'ai donc une approche multi-sensorielle qui permet d’appréhender une pièce vestimentaire d’une certaine manière.

Pour moi, la mode est une forme d’art et si on y incorpore tous les sens, l'expérience est plus saine. C'est ce que je voulais apporter à l'exposition ; une expérience multi-sensorielle très stratifiée pour que les gens se sentent vraiment incarnés par l'œuvre.

Parlons de la musique justement. Comment avez-vous pensé cette exposition immersive d'un point de vue sonore ?

J’ai fait appel à Salvador Reed, un sound designer qui collabore avec moi depuis au moins 13 ans.

Il est de tous les défilés et a su construire une identité sonore qui fait partie intégrante de la marque. Il était donc primordial d’intégrer du son à l’exposition.

Dès le début, je lui ai partagé les concepts de chaque salle afin qu'il réfléchisse à l'aspect sonore.

C’était un véritable défi pour lui, car chaque salle est ouverte. Il a donc fait en sorte que les sons de la première pièce fusionnent avec ceux de la deuxième et de la troisième. C'est presque une manière quadri-dimensionnelle d'expérimenter le son.

La musique est un portail qui peut vous faire voyager ailleurs psychologiquement et émotionnellement.

Cela fait penser au livre This is what it sounds like de Susan Rogers qui a été sound designer pour Prince. Elle y aborde les liens entre la musique et la psychologie. C'est quelque chose qui trouve écho à votre manière d’envisager l’exposition ?

Oh, wow. Je n'ai pas lu le livre, mais il semble très inspirant. Le son a un lien tellement direct avec tout notre être émotionnel et notre façon de penser...

Je ne connais pas les détails scientifiques, mais lorsque je drape, lorsque je dessine, la musique peut m'amener dans une forme de méditation qui m'amène à une échelle différente.

La musique est un portail qui peut vous faire voyager ailleurs psychologiquement et émotionnellement. Mais elle est souvent sous-estimée dans les expositions.

J'ai eu la chance de pouvoir le faire. Je crois sincèrement qu'elle rapproche les gens d'une œuvre et qu'elle les fait aussi rester plus longtemps parce qu'ils oublient le temps et sont plus ancrés dans le présent.

Nous parlions tout à l'heure de la mode et des sens. Quelle est votre définition de la mode ?

Ma définition de la mode ne cesse d'évoluer. Pour moi, elle n’est pas statique. Je pense que l'on oublie parfois que la mode est liée à la psychologie, à notre bien-être émotionnel, à la politique, à l'architecture ou même à la science. J'essaye d'envisager toutes ces différentes strates lorsque je travaille.

Si nous voulons parler de manière plus philosophique, la mode est aussi un moyen de rêver à qui nous sommes, à ce vers quoi nous nous dirigeons.

Je crois vraiment qu'il existe un nouvel espace très intéressant en termes de liberté créative lorsque la mode se connecte à l'art et à la science encore plus qu'elle ne le fait aujourd'hui.

C'est un message que je souhaite également intégrer dans mon travail.

Beaucoup voient la fragilité dans vos créations, mais on évoque moins souvent leur force, pourtant omniprésente.

C’est tellement vrai… Lorsqu’on parle de force et d’indépendance au féminin, l’imaginaire de vêtement auquel on fait appel tient de l’armure ou en tout cas d’une manière très "masculine". Mes vêtements veulent plutôt lier l'idée de sensibilité à la force féminine.

Lorsque je dessine, je veux absolument donner du pouvoir aux femmes, mais aussi leur offrir une façon très personnelle et unique de s'exprimer.

En fin de compte, la mode est très personnelle et bien trop souvent, les tendances sont imposées aux femmes dans l'intérêt des ventes, ce qui selon moi affaiblit leur identité.

Je crois beaucoup à l'approche personnalisée, qui donne beaucoup plus d'individualité et de personnalité. Il s'agit de la sensualité et de la sensibilité des forces féminines.

C'est toujours un équilibre que j'essaie de maintenir, qui donne de la force, mais qui n'enlève pas la douceur qui est en fait une force.

Il y a beaucoup d'inspiration et de technicité derrière mes créations mais elles doivent vraiment parler d'elles-mêmes. Si vous ne savez rien à leur sujet, j'espère qu'on reconnait malgré tout l'ADN, l'amour et l'attention qu’elles contiennent.

Certains sont intrigués par l'impression ou la découpe au laser, le côté plus technique, mais d'autres ressentent la présence de la nature ou le lien avec la danse et la transformation.

Je pense qu'en fin de compte, on peut peut-être comparer cela à la construction d'un morceau de musique, tous les éléments doivent s’accorder.

Je veux absolument donner du pouvoir aux femmes, mais aussi leur offrir une façon très personnelle et unique de s'exprimer.

En parcourant l'exposition, peut-être aussi parce que vous collaborez avec des célébrités comme Björk ou Lady Gaga ou parce qu’il s’agit de Haute Couture, mais le terme de "performance" trouve une résonance particulière. 

Le mot "performance" est important. J'ai déjà dit à plusieurs reprises que la mode est une forme d'art, et je crois en fait qu'une personne peut elle-même devenir une œuvre d'art vivante, et c'est là l'aspect performatif.

Lorsque vous êtes vraiment capable de vous exprimer de manière créative et libre, cela devient une performance personnelle.

Cela peut se faire de différentes manières, mais cet aspect performatif, de montrer qui l'on est vraiment, est présent dans mon travail et aussi dans la manière dont nous réalisons les défilés.

Les célébrités avec lesquelles nous collaborons sont toutes des femmes puissantes et inspirantes qui ont créé leur propre univers et cela m’inspire beaucoup ; j'apprends à connaître leur façon de penser.

Chacune m'apporte de nouvelles perspectives sur la créativité et sur l'identité. Ce pouvoir créatif est puissant.

L'exposition comprend également les œuvres de plusieurs artistes contemporains avec lesquels vous avez collaboré. Comment s'est déroulée la sélection de ces œuvres ?

Oui, je l'ai fait avec les conservatrices du musée, Cloé Pitiot et Louise Curtis. Nous avons travaillé en étroite collaboration, ce qui a été formidable.

Elles ne viennent pas du monde de la mode, mais nous avons eu une connexion très profonde dès le début parce que, l'architecture et l'art contemporain m’inspirent beaucoup et m’offrent des perspectives différentes. En intégrant ces éléments dans ma vision, l'expérience devient plus complexe.

Nous avons souhaité que l’exposition montre non seulement le résultat final, mais aussi le processus créatif qui nous a porté.

Les visiteurs peuvent ainsi voir le dialogue entre la sculpture réalisée par une abeille et la robe en nid d'abeille que j'ai confectionnée.

J'espère que les gens comprendront encore mieux la relation entre l'art et la mode en la parcourant.

Est-ce l'une des raisons pour lesquelles vous avez décidé de créer cette exposition à ce moment de votre histoire ?

C’est un rêve que j’ai depuis longtemps. En fait, j'avais la même idée de faire venir ces différents collaborateurs et artistes, mais à l'époque, le musée n'était pas prêt à cela et préférait l’idée d’une exposition centrée sur la mode.

Depuis, la collaboration entre l'art, la mode et la science a été si importante au fil des ans qu'il n’aurait pas été possible de faire une exposition sans les intégrer.

J'ai eu beaucoup de chance, car pour eux aussi, c'est une nouvelle approche.

Lorsque l'on parle d'impression 3D, on pense à l'avenir. Mais il est aussi très beau de regarder le passé.

Ma définition de la mode ne cesse d'évoluer.

Comment expliquez-vous ce changement ?

La beauté de l'art et de la science réside dans le fait qu’ils nous font regarder le monde d'une manière différente.

Je pense que c'est un pouvoir que la mode détient également et j'espère vraiment que les gens se sentent liés à elle de cette manière.

L’exposition inclut des éléments naturels. Pourquoi est-il nécessaire pour vous de toujours placer la mode dans le contexte de la nature ?

Nous l'oublions parfois, mais nous sommes la nature et nous avons un impact important sur nous-mêmes, sur notre environnement et sur notre monde.

Nous vivons un moment où les gens se reconnectent à ce lien essentiel. C'est en fait très important parce que cela nous fera prendre des décisions différentes, qui sont très importantes pour la transition vers un mode de vie plus durable.

L'art peut raconter cette histoire, tout comme la mode. Il s'agit d'inspirer les gens à se reconnecter à leur essence.

La nature m'inspire beaucoup, mais c'est en l'approfondissant que je me sens reconnectée à elle.

C'est en fait à travers mon processus de création que je me sens plus proche du monde dans lequel nous vivons.

Il s'agit d'apprécier, bien sûr, la beauté de la nature, mais aussi la façon dont elle nous donne la vie.

C'est une relation qui consiste à donner et à recevoir. Je pense vraiment que dans les décennies à venir, il y aura, du moins, je l'espère, un lien beaucoup plus fort avec la façon dont nous réalisons que nous sommes connectés.

Il est très important de raconter cette histoire dans la mode et d'apporter cette inspiration aux gens.

Comment est né votre intérêt pour la science, la nature et les technologies et comment cela influence-t-il votre processus de création ?

La nature a toujours joué un rôle important dans mon travail du fait d’avoir grandi dans un tout petit village. J'ai commencé à m'intéresser à la science beaucoup plus tard.

J'avais 22 ans lorsque j’ai créé ma marque et, après quelques années, j'ai commencé à me rapprocher de certains scientifiques parce que je voulais développer de nouveaux matériaux.

Il s'agit vraiment d'apporter un autre aspect de la connaissance dans la mode pour se rapprocher à nouveau de la nature. Cela ressemble à un paradoxe, mais c'est en fait un cercle.

Nous pouvons vraiment développer nos propres matériaux, plus durables, en collaborant avec ces scientifiques. C'est un processus très particulier.

Je crois vraiment que pour la mode, qui doit devenir plus durable en tant qu'industrie, progressera plus rapidement en collaborant avec la science.

Il est nécessaire de multiplier les échanges pour que nous puissions apprendre les uns des autres.

Vous êtes reconnue pour avoir été l’une des premières créatrices à faire usage d’une machine 3D pour une collection. Il s’agissait de Crystallization en 2010. Pouvez-vous nous revenir sur ce moment et ce que vous en conservez aujourd'hui ?

C’était la toute première impression en 3D. Crystallization pour moi était une expérience pure. Je me souviens que nous travaillions sur le défilé et que, parallèlement, nous modélisions en 3D les éléments sur ordinateur.

Je n'avais aucune idée de la façon dont cela s'adapterait, si cela fonctionnait avec le corps, parce que la méthode classique de modélisation n'était pas possible.

J'ai procédé par essais et erreurs, mais j'ai fini par y arriver. Cela m'a vraiment inspirée parce qu'il y avait une tridimensionnalité et une complexité que je n'aurais pas pu réaliser de manière traditionnelle.

C'était donc un moment où un monde nouveau s'ouvrait soudain à moi. En même temps, c'était effrayant parce qu'en tant que designer, vous êtes très habitué aux limites de vos outils.

Tout d'un coup, vous avez une liberté presque totale. Quel sera mon langage de conception ? Est-ce que j'opte pour une technologie très futuriste ?

En fait, j'ai plutôt décidé de m'intéresser aux fossiles, aux structures plus anciennes, parce que je pense que ces paradoxes sont toujours beaux.

On oublie parfois que la mode est liée à la psychologie, à notre bien-être émotionnel, à la politique, à l'architecture ou même à la science.

Lorsque l'on parle d'impression 3D, on pense à l'avenir. Mais en fait, il est très beau de regarder le passé aussi. Lorsqu'on regarde de près une texture imprimée en 3D, on a l'impression d'une empreinte digitale, de la façon dont elle se construit par strates.

C'est également très proche de la croissance des fossiles. Je pense qu'il est toujours beau d'étirer le temps de cette manière.

C'est ce que je fais de plus en plus souvent avec l'impression 3D. J'aime aussi dérouter les gens avec le travail manuel traditionnel.

Souvent, un look que nous créons et qui a une présence très futuriste est fait à la main et vice-versa.

Il est intéressant de jouer avec les attentes du futur et du passé, car, en fin de compte, tout est nature. Même notre façon de penser est cyclique.

Y a-t-il d'autres techniques ou technologies que la 3D qui vous ont fait ressentir la même chose en termes d'innovation et de création ?

Oui, cela fait un moment que j'expérimente l'impression 4D, et c'est similaire à l'impression 3D en ce qui concerne le nombre de possibilités qu'elle ouvre soudainement.

La seule différence, c'est que lorsque j'ai commencé avec l'impression 3D, c'était très nouveau pour la mode et même pour le design mais l'impression 3D elle-même existait déjà depuis plus de 10 ans.

Il faut beaucoup de temps avant qu'une technologie entièrement nouvelle soit suffisamment mûre pour être intégrée dans un processus de conception et l'impression quadri-dimensionnelle n'en est pas encore là.

Pour moi, c'est une très bonne chose d'être déjà dans cette courbe d'apprentissage et d'être à l'avant-garde dans la compréhension de la technologie mais je pense qu'il faudra encore quelques années pour qu'elle soit suffisamment sophistiquée.

Comme vous l'avez dit, l'industrie de la mode a commencé à s'intéresser aux technologies et à la science. Comment voyez-vous cette évolution au cours des dernières années ?

Je suis très heureuse de l'évolution de la mode au cours des dix dernières années. Lorsque j'ai commencé, il y a 16 ans, je travaillais déjà sur des collaborations et de nouveaux matériaux, mais les gens n'écrivaient pas vraiment sur cet aspect de la mode.

Ils s'intéressaient davantage au look, à la saison, à la tendance et aux matériaux, mais pas tellement à l'innovation ou à la collaboration, parce que je ne pense pas qu'il y avait vraiment un intérêt ou une attention pour cela, et peut-être pas non plus la compréhension de l'importance de réunir ces différents mondes.

Aujourd'hui, on constate que tous ceux qui écrivent dans le domaine de la mode sont beaucoup plus connectés aux autres modes de vie, et pas seulement à la mode.

La mode est très personnelle et bien trop souvent, les tendances sont imposées aux femmes dans l'intérêt des ventes, ce qui selon moi affaiblit leur identité.

La mode est tellement liée au reste de notre vie. Tous ceux qui écrivent dans le domaine de la mode recherchent davantage ce type de dialogue. C'est très positif. 

La mode, en tant qu'industrie, est devenue plus critique envers elle-même. Je pense que c'est très important. Bien entendu, le fait qu'elle devienne beaucoup plus inclusive constitue également une évolution très positive quant aux conversations sur la durabilité, elles deviennent également plus sérieuses.

Sur tous les sujets que je viens de citer, il y a encore beaucoup de progrès à faire, la situation n'est certainement pas ce qu'elle devrait être, mais si je regarde les dix dernières années, il y a aussi beaucoup de progrès.

Il y a beaucoup plus de dialogue, et c'est très positif. 

Dernièrement, on parle beaucoup de l'intelligence artificielle. Que pensez-vous de cette technologie et de son application à l'industrie de la mode ?

Elle peut être appliquée de tant de façons différentes pour le prêt-à-porter notamment pour prédire ce que les gens recherchent. C'est un gros problème que nous ayons tant de surproduction d'articles qui n'intéressent tout simplement pas les gens.

L'I.A peut aussi devenir un outil très important pour la transparence. L'un des grands problèmes est que personne n'est vraiment en mesure de voir comment les vêtements sont fabriqués et où, et je pense que l'IA contribuera également à cet aspect.

En ce qui concerne ma propre discipline, la haute couture, l'I.A peut ,bien sûr, être utilisée en tant qu'outil créatif. Je pense que pour certains créateurs et certaines maisons, ce sera très intéressant sur le plan personnel.

Je ne pense pas prendre cette direction, mais je crois que l'I.A peut me faire entrer en contact avec ma communauté de manière plus personnelle.

Par exemple, je suis en train de faire une interview avec vous, et nous pouvons parler de tous ces éléments, ce qui vous permet de comprendre mon travail d'une manière différente et de vous y attacher encore plus.

Nous envisageons de procéder de la même manière pour les expositions et d'autres projets, afin de créer un A-I-R-I-S, c'est-à-dire un deuxième moi, que je forme au fil du temps, en lui donnant tous les éléments de ma façon de penser, de mes inspirations, etc.

Ainsi, tous les visiteurs des expositions, mais aussi d'autres lieux, peuvent me poser toutes des questions et l'I.A sera capable de répondre de manière très similaire à ce que je fais en ce moment.

Plus j'entraîne cette I.A, plus elle s'améliore. Ainsi, si vous regardez ChatGTP, par exemple, il est maintenant très générique. Il a donc une très grande marge d'erreur.

Lorsque vous entraînez une IA de manière très personnelle, elle peut vraiment devenir un deuxième point de vue, ce qui est intéressant pour les journalistes également, en tant que co-créateur en termes d'écriture.

Je vais donc expérimenter de ce côté, mais je ne vais pas considérer la technologie comme acquise. Si elle a vraiment du sens, je l'appliquerai, mais je ne l'utiliserai pas pour le plaisir de l'utiliser.

Parfois, les gens aiment se lancer dans une course effrénée, par peur de manquer quelque chose ou pour toute autre raison. J'ai travaillé avec tellement d'outils et de types de technologies différents que ce n'est pas vraiment ma façon de travailler. J'ai besoin d'en sentir l'utilité.

La mode, en tant qu'industrie, est devenue plus critique envers elle-même.

Dernièrement, il y a un regain d'intérêt pour les liens entre mode et émotions. Quelle place occupe le pouvoir des émotions dans votre travail ?

L'émotion est tout, n'est-ce pas ? C'est tout ce que nous sommes. Nous avons une enveloppe extérieure, et la mode se concentre souvent sur cette enveloppe.

Mais en fin de compte, c'est notre monde intérieur qui nous rend heureux, mais qui fait aussi de nous ce que nous sommes en tant que personne, que nous nous sentons vraiment connectés à notre propre personnalité et que nous sommes conscients de notre évolution au fil du temps.

Sur le plan émotionnel, j'ai constaté que l'on peut vraiment se développer en y consacrant son attention et sa concentration.

Je pense que tous les outils créatifs renforcent fortement cet aspect, qu'il s'agisse de la musique, à d'autres artistes ou à la mode. C'est la même chose.

En portant votre attention sur ce monde créatif, émotionnel et intérieur, vous pouvez réellement devenir une personne différente. 

J'imagine que cela peut sembler abstrait, mais la mode a fait de moi qui je suis. Certains créateurs pensent l'inverse, se disent qu'ils font le travail. Mais cet intérêt créatif m'a créée.

C'est une façon très intéressante de ressentir ce qui se passe. Je crois que c'est la même chose pour tous ceux qui font l'expérience de la mode, de la musique ou d'autres formes d'art. Je pense qu'il est très beau de réaliser à quel point cette vision créative de l'être a un impact sur notre bien-être émotionnel.

C'est peut-être ce qui me rend si heureuse que les conversations sur la mode soient devenues tellement plus développées et plus profondes. La mode peut aussi réduire une personne à néant émotionnellement.  

Je pense que nous avons sous-estimé, au cours des nombreuses décennies précédentes, la façon dont elle peut donner à une femme l'impression d'être ce qu'elle n'est pas. Cela a un impact considérable sur la vie d'une personne.

Je pense que ce n'est que maintenant que ces conversations ont lieu et que les gens réalisent vraiment que l'on peut se faire ou se défaire avec ces décisions créatives.

Les marques et l'ensemble de l'industrie de la mode ont un impact considérable à cet égard. J'ai bon espoir que nous puissions l'utiliser comme un outil émotionnel pour nous développer.

L'exposition Iris Van Herpen, Sculpting The Senses est à découvrir au Musée des Arts Décoratifs de Paris jusq'au 28 avril 2024.