À J-1 des défilés de haute couture, la place Vendôme a accueilli un spectacle hors norme célébrant les noces de la mode et du sport. Après New York et Londres, le Vogue World a posé ses valises à Paris à l'occasion des JO 2024.
Conçu comme une cérémonie d'ouverture, l'événement a réuni des mannequins, des athlètes et des artistes afin de retracer les grandes décennies du style depuis 1924, date des dernières olympiades dans la capitale.
Aux manettes, entre autres, de cette superproduction retransmise en direct dans le monde entier : les stylistes Carine Roitfeld et Ib Kamara (le directeur artistique de Off-White)... Pas de doute, à l'heure où la grand-messe du sport s'invite dans l'Hexagone, Paris, capitale de la mode, revêt ses plus beaux habits de lumière.
Ainsi, entre inspirations, partenariats, collaborations et événement culturels, les olympiades du style et du luxe joueront en marge des JO une autre compétition aussi glamour que redoutable.
Les JO en objectif
Depuis un an déjà, Paris affûte le storytelling de cette belle histoire d'amour entre le vêtement et le sport. Pas moins de trois expositions lui ont été consacrées (les deux volets de "La Mode en mouvement" au palais Galliera, "Mode et Sport" au MAD). En juin dernier, l'Institut français de la mode (IFM) a même consacré à la thématique une journée d'étude.
"Les Jeux étaient le moment idéal pour faire un état des lieux des relations entre mode et sport, explique Adrian Kammarti, professeur à l'IFM, et susciter de la part des chercheurs l'envie d'explorer ce sujet encore à défricher."
On y aura appris que, dès les années 1920, les maisons de haute couture (Lanvin, Schiaparelli...) possédaient des départements sport, habillaient des athlètes (les robes de tennis de Suzanne Lenglen griffées Jean Patou).
Plus tard, les créateurs tricolores seront sollicités lors des JO : Jacques Esterel habillera la France à Mexico (1968), André Courrèges à Munich (1972)...
Style olympique
Cette année, c'est Stéphane Ashpool, fondateur de Pigalle, qui signe pour Le Coq Sportif les tenues des 60 disciplines olympiques et paralympiques.
"Le streetwear détourne les vêtements de sport et a considérablement influencé la mode des 20 dernières années, poursuit Adrian Kammarti. Il était donc logique que Stéphane Ashpool, son représentant naturel en France, soit sollicité pour habiller les Jeux."
D'autant que ce basketteur chevronné sait faire le grand écart entre les contraintes associées à la pratique, l'allure cool du streetwear, le savoir-faire couture et le made in France. Même si certains ont moqué son interprétation du drapeau français – comparé au dégradé du dentifrice Aquafresh –, Le Coq Sportif, qui propose également une collection J.O. au grand public, peut faire "cocorico".
On assiste à une extension du domaine du luxe à l'art, la musique... Mais aussi au sport qui fait partie des grands moments culturels mondiaux
Pour Paris, bien sûr, les Jeux sont aussi un moyen de racheter une saison touristique 2023 ratée et de redorer son blason (en pleine grève des éboueurs, la presse américaine s'était délectée des photos des rues envahies par les sacs-poubelle et les rats).
Aujourd'hui donc, chacun veut se montrer à la hauteur des Jeux. Sac Swoosh en forme de virgule, bas de jogging rose troué sur torse viril... La deuxième collaboration de Jacquemus avec Nike met les bouchées doubles côté humour et glamour.
Quant à la nouvelle basket de Coperni pour Puma, inspirée des crampons de foot, elle mise sur un design totalement futuriste.
2024 pourra compter aussi sur le retour du survêtement qui se réinvente en version nostalgie 90's chez Loewe, Casablanca ou Balenciaga, ou de la robe maillot de foot dédicacée (Vetements) à guetter dans les tribunes cet été.
Une opportunité marketing en or
Il est vrai qu'avec près de 3 milliards de téléspectateur-rice-s attendu-e-s et ses 15 millions de visiteur-euse-s espéré-e-s, les Jeux de Paris ont de quoi faire rêver. LVMH ne s'y est pas trompé en devenant partenaire premium de cette édition.
Car voilà, le temps où les manifestations sportives majeures étaient laissées aux marques de soda ou aux équipementiers historiques semble révolu.
"Aujourd'hui, on assiste à une extension du domaine du luxe à l'art, la musique, l'entertainment, mais aussi au sport qui fait partie des grands moments culturels mondiaux, explique Éric Briones, cofondateur de Paris School of Luxury. Aux États-Unis, le Super Bowl est l'un des événements les plus regardés et les avant et après matchs de la NBA n'ont rien à envier aux red carpets".
Les marques l'ont bien compris.
Ainsi Prada habille depuis peu Caitlin Clark, joueuse de la WNBA, et l'on se souvient combien le sac de sport Gucci du tennisman Jack Sinner avait choqué le très conservateur tournoi de Wimbledon en 2023.
Dans la guerre de l'attention et de la compétition culturelle à laquelle se livrent les griffes, la visibilité "offerte" par un athlète star peut en effet casser tous les algorithmes.
On pense bien sûr à Serena Williams vêtue d'or par Balmain au dernier Met Gala 2024 de New York, passée du statut de déesse des courts à celui d'icône de mode.
Dans son documentaire En mode champions, Élise Chassaing filme ainsi les entrées hyper-lookées des joueurs à Clairefontaine.
"Ce qui était un non-événement est devenu un moment clé et médiatisé où les footballeurs rivalisent de style pour construire leur image et pourquoi pas décrocher un contrat avec une marque", analyse la réalisatrice.
Pour les JO de Paris, les maisons ont donc fait leur moisson de talents tricolores.
Les athlètes, nouvelles égéries du luxe
Tandis que Louis Vuitton mise sur les jeunes, comme l'escrimeur Enzo Lefort ou le nageur Léon Marchand, Dior a choisi la gymnaste Mélanie De Jesus Dos Santos ou encore des athlètes paralympiques : la cycliste Marie Patouillet et la joueuse de tennis Pauline Déroulède.
Ici, "le choix des ambassadeurs colle à la direction artistique des maisons, analyse Adrian Kammarti. Par exemple, chez Dior, cela matche avec les valeurs féministes de Maria Grazia Chiuri".
Surtout, à l'heure où le sport se féminise de plus en plus, ces athlètes représentent de nouveaux rôles modèles, plus inclusifs qu'une célébrité. Elles incarnent également d'autres types de beauté aux corps plus musclés, abordent sans tabou la question du handicap...
"Quand le luxe rencontre les Jeux Olympiques, observe Éric Briones, ce n'est pas en tout cas dans l'optique de Pierre de Coubertin qui considérait que l'important dans les Jeux, c'était de participer. Il s'agit plutôt de célébrer le pouvoir et la victoire."
Cet événement mondial permettra-t-il à Paris de redorer son blason à l'étranger et de renforcer sa désirabilité ?
Ce qui est certain, c'est que les dieux du stade et du style semblent s'être donné la main pour réussir ce défi.