C’est l’histoire d’un petit garçon d’Irlande du Nord qui, très tôt, voyait déjà son nom en haut de l’affiche. Avant de conquérir les podiums, Jonathan William Anderson se rêvait comédien. Alors, dès l’adolescence, il intègre le National Youth Music Theatre à Londres, puis s'envole pour Washington D.C., où il rejoint l’Actors Studio.

Mais le jeune homme passe finalement moins de temps sur les planches qu'en coulisses avec la costumière. Cette dernière, une femme extravagante et anti-conventionnelle, lui transmet sa fascination pour l’habillement et la puissance narrative des vêtements.

De retour en Irlande, Jonathan Anderson aiguise son œil au sein du grand magasin de luxe Brown Thomas avant de s’inscrire au London College of Fashion. Diplômé en 2005, il rejoint Prada en tant que visual merchandiser sous l’égide de Manuela Pavesi, bras droit de Miuccia Prada. Une expérience placée sous le signe de la rigueur et de la créativité, qui forge son approche conceptuelle de la mode.

J.W. Anderson, le manifeste d’une nouvelle ère stylistique

En 2008, Jonathan Anderson fonde une marque qui porte son nom, J.W. Anderson, et présente une première collection masculine qui fait sensation. Des créations androgynes – shorts volantés, robes pour hommes, silhouettes sculpturales – qui remettent ostensiblement en question les normes de genre et suscitent autant d’admiration que de controverses.

Sa collection homme pour l'automne-hiver 2013-2014 est fustigée par les critiques du journal populiste Daily Mail. Indignés par les tenues imaginées par le créateur d’avant-garde, ils évoquent "l’humiliation de la masculinité". Un tournant pour Jonathan Anderson qui, loin de s’en offusquer, défend une collection qui a changé les mentalités : "À l’époque, cela a créé un scandale. Aujourd’hui, cette collection est exposée dans des musées. Ce qui montre à quel point la perception a changé en une décennie."

En 2010, face à un succès grandissant, le créateur lance une ligne féminine qui connaît un succès immédiat. L'année suivante, elle s’impose à la Fashion Week de Londres, propulsant sa marque au rang de phénomène mondial, adulée par les modeuses en quête d’une mode plus cérébrale.

Pointu, le style de Jonathan Anderson n’en est pas moins démocratique, porté par des collaborations avec des enseignes grand public. Dès 2012, il élabore ainsi avec Topshop une collection qui se vend en quelques heures, avant d’enchaîner plus tard des capsules pour des géants comme Uniqlo et Converse. Cette même année, il remporte le British Fashion Award du talent émergent : une étoile est née.

Loewe, la métamorphose d’une maison artisanale

La consécration arrive en 2013. Le groupe de luxe LVMH acquiert une participation minoritaire dans sa marque et confie dans le même temps les rênes de Loewe (maison espagnole spécialisée dans le cuir depuis 1846) au prometteur designer.

"Lors de ma première visite dans leurs ateliers, j’ai compris que Loewe avait un potentiel extraordinaire, enraciné dans un artisanat d’exception", confie-t-il. Sous sa direction, Loewe connaît une transformation radicale. Jonathan Anderson modernise les classiques de la maison avec des pièces iconiques comme le sac à main Puzzle, tout en injectant une dose d’expérimentation intellectuelle.

Ses collections mêlent innovation et poésie, à l’image des manteaux ornés de gazon véritable ou des souliers inspirés de sculptures remarquables. En 2015, Jonathan Anderson entre dans l’histoire de la mode britannique en remportant simultanément les prix de designer de l’année pour le prêt-à-porter féminin et masculin aux British Fashion Awards. En parallèle, Loewe devient l’une des marques les plus en vogue du moment, avec un chiffre d’affaires qui atteint le niveau record de 626 millions d’euros en 2022.

Un maître d’art(s) consacré

Pour Jonathan Anderson, la mode est bien plus qu’un simple vêtement : il s'agit d’un médium artistique. Chaque collection est pensée comme une installation, un dialogue entre des disciplines d’expression variées. Il collabore également très tôt avec des artistes contemporains, comme Paula Ulargui Escalona, à qui il demande d'intégrer des plantes vivantes dans des vêtements pour Loewe, ou Richard Hawkins, dont les collages ont inspiré des imprimés audacieux.

Son engagement pour l’art et l’artisanat est tel qu’il imagine, en 2016, le Loewe Craft Prize, célébrant l’excellence dans le travail manuel à l’échelle mondiale. En parallèle, il s’investit dans des projets curatoriaux, comme l’exposition On Foot, et siège au conseil d’administration du Victoria & Albert Museum. Et comme si cela ne suffisait pas, le créateur ajoute dès le début des années 2020 une nouvelle corde à son arc : celle de costumier.

Alors que ses créations continuent de faire sensation à chaque Fashion Week, il est sollicité par Harry Styles et Beyoncé pour confectionner certaines tenues de leurs tournées, ou encore Rihanna pour le Super Bowl 2023. Amoureux du cinéma, il signe aussi les costumes des films Challengers (2024) et Queer (2025), œuvres réalisées par son ami Luca Guadagnino.

Autant de projets qui culminent avec une nouvelle consécration : à 39 ans, celui qui se décrit comme un créateur curieux et discipliné remporte le prix de designer international de l’année du CFDA en 2023. Une reconnaissance de son influence mondiale qui marque aussi l’avènement d’un nouveau paradigme : celui d’une mode audacieuse, poétique, intellectuelle et résolument tournée vers l’avenir.