Cette année, son nom est sur toutes les lèvres.

Le créateur suisse basé à Paris vient de dévoiler la scénographie des vitrines de Noël des Galeries Lafayette. Il a apporté une joie bienvenue à la dernière Fashion Week de Paris avec ses sil­houettes flamboyantes inspirées par les signes du Zodiaque. Il a signé les costumes de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques 2024, sous la direction artistique de Thomas Jolly et Daphné Bürki. Il a réalisé la collection Prélude à partir des stocks d'invendus de sept maisons du groupe LVMH.

Sans compter sa collaboration avec Baccarat, Havaianas, le jeu vidéo Just Dance... Passé par le Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, il décide de lancer sa marque en 2018 lorsqu'il découvre, en Chine, un stock inutilisé de perles de verre vouées à être jetées. Il en fera la signature de ses collec­tions et ne proposera que des vêtements à partir de matières et objets existants. Sa démarche d'upcycling séduit autant le microcosme de la mode que les célébrités, comme Björk et Beyoncé.

Lui qui n'aime rien tant que s'habiller en noir de la tête aux pieds nous livre son admiration pour l'excentricité et sa passion de toujours pour les fêtes de fin d'année.

Marie Claire : Faites-vous partie des gens enthousiasmés par la période de Noël ?
Kévin Germanier : Totalement, je suis un véritable fan ! C'est cliché de le dire, mais j'adore l'hi­ver, les montagnes suisses, l'ambiance chalet, ces moments festifs où l'on se permet de porter des vêtements très glamours comme des robes avec des sequins ou bien très kitsch comme les pulls de Noël. Une esthétique très "camp" !

Quand j'étais petit, mes parents nous offraient pour Noël un voyage à Paris afin d'admirer les vitrines des Galeries Lafayette Haussmann. C'est très émou­vant pour moi de les signer aujourd'hui. Et un défi aussi : les passants regardent une vitrine en moyenne 2,5 secondes, donc il faut savoir être impactant. Je les ai conçues comme un mini théâtre, en collaboration notamment avec les marionnettistes d'exception qui tra­vaillent avec le grand magasin.

Où pensez-vous placer les frontières de l'excentricité ?
Qui déclare ce qui est "too much" ? La Bible de la Fashion ? Et qui l'aurait écrite d'ailleurs ? De toute façon, même si elle existait, je ne veux pas la lire, je la trouve barbante d'avance !

J'ai beaucoup de respect pour les gens excentriques, ceux qui ne s'inquiètent pas du regard des autres et s'habillent comme ils en ont envie. Je les admire, car je n'ai pas ce courage. J'adore par exemple regar­der ma grand-mère se balader dans son village en Suisse avec un tricot Germanier jaune fluo. À titre person­nel, mon uniforme quotidien se résume plutôt à un T-shirt, le plus souvent piqué à mon père ou à mon copain, et un pantalon Dickies noir, toujours la même coupe.

Je n'ai pas de plaisir particulier à m'habiller alors que j'adore le faire pour les autres. C'est une passion qui vient probablement de mon attachement aux jeux vidéo. Avant même de commencer une partie de Mario Kart, il faut créer son personnage, habiller la princesse et décider si elle va rouler dans le tricycle licorne ou la voiture de Bowser !

Est-ce que le bon goût vous intéresse ?
Pour Germanier, je privilégie les maté­riaux considérés comme moches. À un organza magnifiquement brodé, je pré­fère de loin créer une silhouette à partir d'un polyester bon marché ou de guir­landes en feuilles métalliques, afin de me lancer le pari de les détourner.

Je dis toujours à mes équipes : au lieu de débu­ter par une harmonie de rose pastel et fuchsia, essayez plutôt une chartreuse immonde avec un brun dégueulasse ! Ce qui m'intéresse, c'est le défi, à l'image de cette silhouette réalisée à partir de tongs Havaianas dans ma collection printemps-été 2025 baptisée Les Désastreuses. Je pense aussi aux cassettes VHS récoltées par mon père qui ont servi à confectionner le costume du pianiste suisse Alain Roche pour sa performance à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques, où il a joué sus­pendu et à la verticale.

Entre la crise économique et les guerres, l'excentricité vous semble-t-elle déplacée ou nécessaire ?
C'est une question que je me suis posée quand je préparais le défilé des Désastreuses. Je me suis demandé si, compte tenu du contexte internatio­nal, il était sensé de faire un show avec des robes à plumes très colorées... Ma mère m'a convaincu en m'affirmant que si cela permettait d'oublier la réalité et de faire rêver pendant dix minutes, cela valait la peine.

Et puis Germanier, c'est toute une équipe derrière : nous sommes cinq au studio parisien, une trentaine de tricoteuses en Suisse, une douzaine de personnes aux Philippines pour trou­ver les perles et fabriquer les sacs, ainsi que huit au Brésil, où l'artiste Gustavo Silvestre réalise les pièces en crochet en collaboration avec des prisonniers.

Qui déclare ce qui est "too much" ? La Bible de la Fashion ?

Une marque prolifique

On parle beaucoup ces dernières saisons de la portabilité des collections qui défilent. Quelle est la réalité commerciale des pièces Germanier ?
On me demande souvent quel est le positionnement de ma marque. Faire des vêtements ? Proposer des cos­tumes ? J'ai longtemps hésité entre ces deux voies, entre faire défiler une mannequin tirant la gueule ou bien me lancer dans un spectacle façon Cirque du Soleil. J'ai opté pour le show comme étant la vitrine de mon savoir-faire montré sur les corps humains.

C'est grâce aux JO que je me suis enfin auto­risé à me considérer comme un storytel­ler. Je n'ai pas besoin de faire la démons­tration d'un sweat à capuche avec mon logo et aucune envie de créer un énième T-shirt dont les fri­peries regorgent. Mon travail de desi­gner, c'est plutôt de montrer une palette d'artisa­nats et de créati­vité autour de l'ADN Ger­manier, marqué notam­ment par le goût de la couleur et l'obsession de l'upcycling. Et derrière, c'est clairement grâce au succès du sac en perles Trésorium que la machine peut tourner.

Vous ne travaillez que des matières existantes, avec une prédilection pour la broderie, pourquoi ce choix ?
C'est avec des blazers troués et rebro­dés que Germanier s'est fait connaître les premières saisons. La richesse de cette technique me fascine, à condition qu'elle ne soit pas utilisée à des fins purement esthétiques. Les broderies que je réalise sur mes vêtements, je les appelle des "cache-caca", car elles servent tou­jours à masquer un délavage raté sur un pantalon noir ou bien un trou. Il ne s'agit pas seulement de rajouter un patch sur un défaut. C'est infiniment plus com­plexe de broder un vêtement existant qu'un morceau de tissu, parce qu'il faut tra­vailler non pas en 2D, mais en 3D, ce qui peut demander des dizaines d'heures de labeur.

On parle beaucoup d'upcy­cling aujourd'hui, mais nous n'avons rien inventé. Enfant, quand je tombais de vélo, ma mère ne filait pas chez H&M me racheter un jean, elle cousait un patch sur la partie déchirée.

Cette année, vous avez enchaîné les collaborations, comment ne pas s'y perdre ?
Dans un contexte économique tendu, je ne me plains pas, car je sais ma chance. Et à l'ennui, je préfère largement mul­tiplier les projets.

Cette année, il y a eu un moment où je travaillais sur neuf choses en même temps ! Les costumes de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques 2024 autour de la figure du "Golden Voyageur", les vêtements pour habiller la sculpture en cristal Baccarat célébrant les 50 ans d'Hello Kitty ou encore les tenues des person­nages du jeu vidéo Just Dance, sans oublier un Père Noël et les décors des vitrines de fin d'année pour les Galeries Lafayette. Cela ne me pose aucun pro­blème de passer du dessin d'un costume à celui d'une table à repasser. Ce qui m'intéresse profondément, c'est le design que ce soit celui d'une cuillère ou d'une robe.

Évidemment, la mode reste mon terrain d'expression préféré, car elle touche à l'anatomie, au mou­vement, à ce que l'on montre, à ce que l'on cache...

Vous venez de présenter la collection Prélude pour le groupe LVMH, quel a été le point de départ de cette collaboration ?
Sept maisons du groupe ont mis à disposition leurs invendus à partir des­quels est née cette collection. Il a fallu défaire tous les produits pour qu'ils ne soient plus identifiables. Nous sommes revenus aux fils que nous avons ensuite retissés. Lors de la présentation de la collection, certains ont été surpris de voir que je pouvais également dessi­ner une jupe grise. Cela m'a permis de montrer que je savais couper un beau vêtement, pas seulement imaginer des choucroutes colorées !

La ligne Prélude représente une solution circulaire sous forme d'exercice de style qui cham­boule tout un système existant depuis des décennies... Mais avec la patience et le tact suisses !