"Le monde devrait être attentif à ce que l’Afrique à apporter. Imaginez un ours polaire qui était en train d’hiberner et se réveille progressivement. Voilà, c’est l’Afrique avec sa population jeune et dynamique, qui fourmille d’idées et de talents". Ces mots sont ceux de Mucha Hazel Nyandoro, personnalité invitée à animer l’une des conférences de la Canex. Cette foire dédiée aux industries créatives africaines s’est déroulée à Alger, du 16 au 20 octobre 2024. Pendant quatre jours, performances, tables rondes et expositions ont animé la ville qui était investie par des officiel-le-s de tout le continent.

Lancée par l’African Export-Import Bank (Afreximbank) en 2020, l'événement, qui réunit 52 pays, met aussi bien à l’honneur le cinéma que la gastronomie, le sport et la mode. Une initiative que le Tranoï, salon pour les professionnel-le-s dédié au prêt-à-porter et aux accessoires, a choisi de soutenir dès 2023, en invitant des designers africain-e-s à présenter leurs collections à Paris.

L’année suivante, un défilé a été organisé en marge de la Fashion Week avec des labels comme Thebe Magugu et Sukeina. À Alger, le Tranoï a fait venir acheteur-euse-s, journalistes et spécialistes de la mode pour leur faire découvrir les 18 créateur-rice-s exposés dans la capitale.

"La vocation de Tranoï, c’est de trouver chaque année des bassins de création. Ce sourcing africain présente une créativité que je n’avais pas vue depuis longtemps. Toutes les collections sont liées à la culture des différents pays représentés, leurs histoires et leurs techniques respectives, réinterprétées au goût du jour", explique Boris Provost, président-directeur général de Tranoï. "Les marques invitées sont dans l’air du temps au niveau écoresponsable et éthique. Elles ont aussi en commun de porter un intérêt particulier aux problématiques de transmission des savoir-faire", poursuit le dirigeant.

Pour clore l’événement avec panache, un défilé a été organisé au jardin d’essai du Hamma, rassemblant une grande partie des labels qui exposaient à la Canex, ainsi que certaines griffes traditionnelles algériennes.

Focus sur 8 créateur-rice-s rencontré-e-s à Alger, à connaître absolument.

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L'upcycling extraordinaire de Nkwo

Nkwo

En 2012, Nkwo Onwuka lance une marque qui porte son prénom. Basée au Nigeria, la griffe s’est donnée pour mission de créer des vêtements unisexes qui ont un faible impact sur l’environnement. La fondatrice du label a donc décidé de miser sur des fibres naturelles produites localement et sur l’upcycling.

Sa principale source d’approvisionnement ? Les étals des marchés de seconde main, où atterrissent les habits placés dans les conteneurs de dons qui fleurissent dans les rues européennes. De ces textiles, elle a tiré une nouvelle matière recyclée, le Dakala™ Cloth, qui a attiré l’attention du Victoria & Albert Museum, puisque l’institution britannique a acquis l’une de ses créations pour son fonds d'archive en 2022.

"J’ai commencé à partir de rien, avec seulement une machine à coudre, maintenant, nous sommes 29", raconte l’entrepreneure. Parmi les personnes qui collaborent aujourd’hui avec elle, des femmes qui ont dû quitter le nord du Nigeria à cause de la menace terroriste que fait planer Boko Haram sur la région. À elles de tresser le denim, coudre les ponchos ou crocheter les ornements qui ponctuent les pièces estampillées Nkwo.

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La féminité pointue de Manza

Manza

Avant la pandémie de Covid-19, Rana El Sheikh travaillait dans l’univers pharmaceutique. Une carrière qu’elle décide de quitter pour commencer un métier qui l'anime : créatrice de vêtements. D’autant que la jeune Égyptienne distingue un segment inexploité dans le marché du prêt-à-porter local.

"À l’époque, j’avais du mal à trouver des habits de qualité qui assumaient un design edgy et affichaient un prix accessible". Manza est né, avec ses corsets à lacets qui emboîtent la taille, ses larges pantalons à pinces, ses mini robes bustier et ses vestes déconstruites.

Reste un challenge, pour la toute nouvelle designer : réussir à produire des pièces qui conviennent aux différentes régions du monde. "La morphologie des femmes en Égypte n’est pas forcément la même que celle des femmes au Moyen-Orient et en Europe. D’autant qu’elles ne veulent pas mettre en valeur les mêmes parties de leurs corps et ne portent pas les créations Manza pour les mêmes occasions".

Alors Rana El Sheikh apporte de subtiles variations à ses collections, qui, selon ses mots, reprennent des éléments de la "culture africaine" infusée des tendances mondiales. Prêtes à séduire à l’international ?

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Les sacs à main arty de Vanhu Vamwe

Vanhu Vamwe

Il y en a peu, des sacs à main si beaux qu’ils font autant d’effet portés du bout des doigts qu’accrochés sur les murs du salon. Mais Vanhu Vamwe annonce directement la couleur; sa spécialité, c’est la mise au monde de beaux objets, aussi efficaces pour accessoiriser une tenue que pour décorer un intérieur.

Les créations en macramé du label prennent la forme de besaces en crochet aux mailles XXL, de it bags pop qui détonnent, de sacs seau aux franges si longues qu’elles se transforment en tapisserie. Derrière ce projet, Simba Nyawiri et Pam Samasuwo-Nyawiri, qui ont voulu donner à leur marque une envergure sociale, puisque pour confectionner les articles du label, iels font appel à des femmes qui sortent de prison.

Iels se sont donné une autre mission : favoriser la transmission de l’artisanat de façon horizontale pour que les savoir-faire d’Équateur – spécialiste du macramé – et du Zimbabwé – leur pays – perdurent. Une démarche qui plaît, puisqu’en 2024, la marque totalise une cinquantaine de points de vente à travers le monde.

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La partition délicate de Haus of Stone

Haus of Stone

Haus of Stone voit le jour en 2013, à l’initiative de Danayi Madondo. Sous cette bannière, elle dessine des vêtements aux teintes neutres, blancs, beiges et élégants pastel. Son esthétique est ponctuée de volants greffés sur les cols et les épaules, de perles de bois et de crochet qui laisse deviner la peau. 

Divisées en trois lignes, ses collections réunissent une sélection d’essentiels, des vêtements pensés en hommage à la culture zimbabwéenne, qui est aussi celle de Danayi Madondo, et des articles en macramé confectionnés par des artisans locaux.

Bien décidée à s’exporter hors des frontières de son pays, la designer s’est récemment associée à un collectif d’artistes sénégalais-es pour tisser des liens avec d’autres créatif-ive-s afrincain-e-s.

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Les créations couture d'Amor Guelil

Amor Guelil

"La mode algérienne est souvent assimilée au vêtement folklorique. Aujourd’hui, si nous voulons une Algérie moderne, nous devons proposer une mode contemporaine". Ce parti pris, c’est celui d’Amor Guelil, créateur algérois qui a fait des "vestes couture" sa marque de fabrique. "Chez nous, la haute couture est une évidence, parce que le marché de la mode national repose sur le business de la mariée, qui doit porter plusieurs tenues sur mesure lors de la noce", analyse le designer.

Depuis dix ans, le jeune homme revisite donc son vêtement de prédilection et rend hommage aux ateliers Lesage comme à Gabrielle Chanel, en même temps qu’il multiplie les clins d’œil à son pays de naissance. "Nous avons des paruriers extraordinaires, des brodeurs de talent et même du cuir produit localement", détaille-t-il.

Des savoir-faire qui s'invitent dans ses collections, composées de caftans en tweed et de robes opulentes dans la doublure desquelles sont cachés des Louis d’or, symbole de bonne fortune. Avec toujours en tête l’envie d’habiller les femmes du monde entier.

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Les collections précieuses d'Ola Reay

Canex

C’est une première pour Olanrewaju Sunmonu. Le fondateur d’Ola Reay, label nigérian installé à Lagos depuis 2019, dévoile une collection féminine tout en transparence, lui qui d’ordinaire ne crée que pour les hommes.

"J’imagine des pièces contemporaines qui ont une portée artistique grâce à l’artisanat", développe le designer. Des vêtements chamarrés, brodés de perles par une seule et même couturière, mais aussi des ensembles imprimés et des robes confectionnées dans un incroyable tissu iridescent.

Pour confectionner ses habits, Olanrewaju Sunmonu fait appel à des fournisseurs de la région qui l’aident à concrétiser sa vision du prêt-à-porter : des silhouettes statement, pour passer d’une journée de bureau à une folle soirée sans avoir à se changer.

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Les lignes graphiques d'Anissa Aida

Anissa Aïda

Diplômée de la Parsons School of Design de New York, Anissa Meddeb a initié sa marque pour homme et femme en Tunisie, son pays d’origine, en 2016. Pensée comme un dialogue entre sa culture et l’esthétique japonaise, la griffe baptisée Anissa Aida s’amuse avec les codes méditerranéens — du bleu, du blanc, des rayures — et l’origami grâce à d’habiles jeux de découpes ou de pliages.

Pour sourcer ses matières, la créatrice s’approvisionne en lin ou en soie fabriquée dans un atelier de la médina de Tunis. L’idée ? Revitaliser des techniques artisanales anciennes pour qu’elles survivent à la mondialisation et les appliquer à ses pantalons larges, ses tuniques asymétriques et ses vestes nouées.

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L'esthétique universelle de Studio Namnyak

Studio Namnyak

Derrière Studio Namnyak se cache une jeune femme, Namnyak Odupoy. Fondée au Kenya en 2022, la griffe assume ses collections nostalgiques. "J’ai grandi dans un village maasaï et je voulais mettre à l’honneur le shuka, ce tissu traditionnel recouvert de carreaux", explique la designer. Ici, le motif géométrique prend la forme d’un rectangle, discrètement brodé sur des pantalons, des combinaisons ou des robes aux coupes épurées.

Une rangée de perles colorées rehausse une veste à draper sur les épaules, tandis que les chaussures en cuir s’inspirent des sandaks, ces nu-pieds portés par les enfants maasaï. Ceux de Studio Namnyak sont multicolores et unisexes, comme l’essentiel des pièces imaginées par la créatrice. "On me demande beaucoup pourquoi je n’utilise pas de wax dans mes collections. En réalité, je souhaite créer des vêtements que les gens voudraient porter dans le monde entier. Des vêtements pensés en Afrique, confectionnés en Afrique, mais qui ne sont pas un cliché de l’Afrique".

Et de souligner qu’il s’agit d’un continent – dont la superficie est de 30,4 millions de km2, soit deux fois la Russie et trois fois l’Europe, contrairement à ce que les planisphères occidentalo-centrés peuvent laisser penser — qui ne saurait se résumer à une étoffe unique. La preuve par l'exemple.

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