Quarante ans de carrière n'auront pas assagi Marc Jacobs. Présenté en juillet à New York, son show automne-hiver 2024-2025 résonnait tel un hymne à la fantaisie. L’éternel apprenti sorcier de la mode y faisait défiler pendant six minutes des créatures cartoonesques, comme sorties d’un remake de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?
Pour Marc Jacobs, pas de doute, la mode est un moyen "de communiquer de manière audacieuse et courageuse afin d'exprimer et de mettre en valeur notre moi intérieur", écrivait le créateur dans sa note d’intention.
Le New-Yorkais n’est pas le seul à revendiquer le droit à l’extravagance. En juin dernier, Alessandro Michele faisait son come-back chez Valentino et présentait, à la surprise générale, sa première collection (Croisière 2025) : 171 looks célébrant une bourgeoisie seventies à l’opulence décadente.
Le créateur Kévin Germanier, de son côté, s’est fait remarquer en proposant des silhouettes vibrantes comme des feux d’artifice.
La revanche du maximalisme aurait-elle sonné ? Tout porte à le croire. Car, à l'heure où l’esprit passéiste de la Jolie Madame souffle sur la saison comme une ultime émanation du minimalisme tout en cachemire qui a dominé l'année 2023, les couleurs flashy, imprimés léopard, logos et fausses fourrures ripostent sur la mode.
Le terme du "quiet luxury"
"On sent un ras-le-bol général du "quiet luxury" qui a viré au "boring luxury", analyse Vincent Grégoire, directeur Consumer Trends & Insights chez NellyRodi. C’est devenu une tendance sans aspérités, qui incarne un retour à la bien-pensance avec son hyper valorisation de l’excellence et de la tradition, de l'effort et de la frugalité."
Une tendance qui refléterait, selon les observateurs, le contexte politique actuel, celui d'une Europe nostalgique de son passé glorieux, plus réactionnaire que jamais.
Interviewé en juin dernier par le Wall Street Journal à l’issue de son défilé homme printemps-été 2025 inspiré des looks flamboyants des festivals de musique, Jonathan Anderson s'interrogeait lui aussi : "Je me demande si la mode est devenue tellement conservatrice que ce qui se passe hors d'elle est en réalité bien plus avant-gardiste."
Avant d’ajouter : "Je crois que les gens veulent quelque chose d'unique qui les stimule d'une manière ou d'une autre."
Pour Vincent Grégoire : "Le "loud luxury" est une réaction, une envie de remettre de l'excès, de la joie, voire du trash dans la création, d'assumer notre nature de consommateur dans un monde dominé par le doute et l’insécurité". Une mode plus forte, plus bruyante, plus fière et qui se voit.
Vive le "loud luxury" !
Dans le sillage de la "mob wife", cette mafiosa au caractère bien trempé et au look bling qui a affolé les réseaux sociaux début 2024, la fausse fourrure fait son retour en force et règne en maîtresse sur les manteaux.
Formes boules aux cols XXL, longueurs spectaculaires façon "pimps", poils bouclés, ébouriffés, tons naturels, voire de pierres précieuses, la matière, jadis symbole d'un luxe statutaire, revient habiller les femmes du moment qui n’ont peur de rien. Et surtout pas de s’afficher presque nue sous leur seconde peau.
À l'image des héroïnes de Saint Laurent qui renouaient avec le goût du scandale, cher à la maison, en exhibant une réinterprétation du "nude look full frontal" avec blouses à lavallière et jupes crayons façon collant.
Preuve que la quasi-disparition du vêtement, au profit de la révélation du corps, dit beaucoup de ce retour à un érotisme décomplexé qui joue à cachecache avec la morale.
"Cette collection a une attitude rebelle, mais un cœur d'or", prévient Donatella Versace. "La femme Versace garde une âme sauvage, elle est un peu guindée, mais sexy. Ne lui cherchez pas des noises !" Sous la bourgeoise, trouvez la badass ! À savoir, la punk sous le tailleur en tweed déstructuré, la néo mob wife dans cette combinaison léopard.
Car si le "loud luxury" devait se résumer à un imprimé, ce serait sans doute ce motif animal, toujours sur le fil du rasoir du chic et du mauvais goût qui s’impose cette saison, du manteau à la robe sculpturale (Dolce & Gabbana, Marni).
La mode réinjecte de l'excès, de la voire du dans un monde dominé par le doute et l’insécurité.
Il faudra composer aussi avec les logos, comme chez GCDS, Gucci et Louis Vuitton qui a même imaginé des vêtements en cuir ornés de ses malles Monogram emblématiques avec fermoirs intégrés.
Une texture ? L'or qui parade partout, dans des tissus aux allures de pièce d'orfèvrerie, mais aussi les cristaux, les paillettes – comme sur les incroyables costumes du Eras Tour de Taylor Swift (le Victoria & Albert Museum a consacré à la chanteuse une exposition du 28 juillet au 8 septembre).
Un penchant pour la démesure justifié ?
Il est vrai que la démesure peut choquer autant qu'elle fascine. Cet été, entre l'actualité politique et les J.O., la presse s'est fait l'écho du très controversé "mariage du siècle" d'Anant Ambani – fils du multimilliardaire indien Mukesh Ambani – et de Radhika Merchant.
Un événement fou qui aura duré plusieurs mois, entre croisière en Méditerranée avec 1 200 invités, concerts privés (Rihanna, Katy Perry, Justin Bieber), pluie de stars (Kim Kardashian, Bill Gates, Hillary Clinton...) et robes personnalisées griffées Versace, Dolce & Gabbana, ou vintage signées Yves Saint Laurent ou Dior pour un coût estimé à plusieurs centaines de millions de dollars.
Alors que la croissance mondiale du luxe ralentit, notamment en Chine, "ce goût pour l’excentricité pourrait bien séduire d'autres pays tels que le Mexique ou encore le Moyen-Orient où il existe une véritable culture de la démesure", explique Vincent Grégoire.
Mais attention, le terme de "loud luxury" recouvre une réalité plus subtile qu'il n’y paraît et risque de faire passer sous silence l'étonnante richesse artisanale de certaines pièces qui s'avèrent, en détail, des bijoux de maximalisme.
Ainsi des faux classiques revisités de Loewe, tel ce pull gris dont le bas moutonne comme une écume de bouloche. Ou encore cette robe colonne rouge de Bottega Veneta dont l'effet vibratoire est dû à deux sortes de franges.
En coulisses, le directeur artistique, Matthieu Blazy, expliquait ainsi vouloir "réduire non pas au minimum, mais au maximum". Car plutôt que de proposer un style homogène, ce mouvement encourage surtout la liberté d'exprimer sa personnalité avec des vêtements capables de susciter des émotions.
De retrouver son âme créative d'éternel-le adolescent-e en osant des mélanges improbables, à l’image du show Miu Miu qui célébrait, à travers un vestiaire multicolore composé de vestes à manches trop courtes, de hauts de pyjama portés en pardessus et de chaussures à bouts ronds, le passage à l'âge adulte...
Bruyant, oui, mais surtout terriblement frais et amusant.