À 42 ans, voilà un peu plus de quinze années que Laura André-Boyet exerce un métier hors du commun, celui d'instructrice d'astronautes au Centre européen des astronautes de l’Agence spatiale européenne (Cologne).
Entre théorie, exercices pratiques et entraînements, l’une des deux seules Françaises - la tricolore Clara Moriceau a récemment rejoint son équipe - à enseigner ces cours si particuliers nous livre les coulisses d’une profession de l’ombre, qu’elle dévoile aussi dans Open Space, aux Éditions Fayard.
Un métier extraordinaire
Marie Claire : À quoi ressemble votre métier que si peu connaissent ?
"Le poste de formatrice d'astronautes consiste à entraîner et former tous les astronautes, toutes nationalités et agences confondues, qui vont se rendre et travailler à bord de la Station Spatiale Internationale. C'est un métier hors du commun. On est relativement peu à l'exercer, mais les années passent vite. Ça fait 18 ans que je suis dans l'industrie et 15 que j'exerce. J'ai été sélectionnée en 2009 et je suis arrivée à l'EAC (European Astronaut Centre, ndlr) en même temps que la classe d'astronautes de Thomas [Pesquet].
Le spatial était-il une vocation pour vous ?
Ça n'a pas été une passion précoce, mais aujourd'hui, c'est vraiment le cas. Je ne m'orientais pas vers le spatial et encore moins vers le vol spatial habité. De mon point de vue, travailler dans cette industrie ou dans toute industrie de pointe ne nécessite pas une vocation précoce. Et j'aimerais que ce propos porte et aille jusqu'aux oreilles des jeunes qui n'ont pas nécessairement de rêve.
Travailler dans l'industrie du vol spatial habité ou dans toute industrie de pointe ne nécessite pas une vocation précoce.
On n'a pas besoin ni de vocation, ni de rêve pour faire des choses extraordinaires. Mon métier est extraordinairement intéressant pour moi et je m'y amuse beaucoup. Pourtant, ne pas avoir de vocation ne m'a jamais empêchée de faire quoi que ce soit et je ne m'y suis jamais sentie moins légitime qu'une autre personne.
D'ailleurs, vous avez fondé la PASI (Professional Association of Space Instructors). Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
C'est quelque chose qui me tient à cœur, pour le coup, car je crois en l'open source, en ce cercle vertueux, en ouvrant et en faisant les choses très sérieusement, au lieu de les confiner, de les réserver à une élite.
Pour les personnes qui en émettent le désir profond de découvrir le milieu, c'est précieux. Quand vous faites du judo, vous démarrez débutant, puis vous passez vos ceintures. Si ça vous passionne, que vous êtes bon et que vous vous orientez vers une professionnalisation dans la matière, vous pouvez le faire. Pourquoi on ne pourrait pas le faire aussi dans le spatial ?
Comment un astronaute est-il formé ?
À quoi ressemble une journée type à l'EAC ?
Au travail, il n'y a pas vraiment de régularité. Les choses bougent vite. Donc il faut être prêt au changement, être assez agile et réactif.
Mais je peux vous expliquer comment se déroule, de façon générale, une formation d'astronaute. Il n'y a pas de durée minimum, maximum. Ça peut aller d'une heure à trois jours. Cependant, on observe une chronologie dans la pédagogie. On commence toujours par un socle théorique. Par exemple, si je dois entraîner un astronaute sur un échographe pour faire des échographies, on va commencer par réassoir les bases de la théorie de l'imagerie par ultrasons. Ensuite, on a une partie qui se concentre sur la mécanique, sur la machine. Parfois, les machines arrivent en kit. Il va falloir les monter. Ce sont des machines qui ne ressemblent pas aux machines qu'on a sur Terre. Donc, on va monter la machine. Ensuite, on va la connecter, la sécuriser pour ne pas qu'elle s'envole partout. Des choses auxquelles on ne pense pas sur Terre.
Une fois qu'elle sera connectée et utilisable, on va former l'astronaute à l'utiliser en toute sécurité, pour avoir des données de qualité. C'est toujours dans le même ordre. Et on adapte le contenu à l'expérience ou à la démonstration technologique.
Y a-t'il une durée spécifique pour une formation pré-mission ?
Entre la sélection d'un astronaute et sa mission, il n'y a pas de durée maximum. Idéalement, il ne faut pas les entraîner trop longtemps, parce que ça peut être pénible. Par contre, il y a une durée minimum, qui est difficilement inférieure à 4 ou 5 ans.
L'entraînement avant une mission se découpe en trois. Il y a l'entraînement de base, qu'en général, un astronaute fait une seule fois dans sa vie, à l'issue de la sélection. Cet entraînement de base vise à homogénéiser les compétences, surtout théoriques et va durer entre 18 et 24 mois.
Ensuite, l'astronaute va passer dans la phase d'entraînement spécialiste, ou encore pré-affectation, qui, lui, a une durée indéterminée. On forme les astronautes au système de la station, à la plomberie, à l'électricité, au système de données et aux procédures d'urgence, en attendant qu'ils soient affectés à une mission.
Une fois l'affectation faite, ils vont entrer dans la phase ultime de leur entraînement, qui est l'entraînement mission, qui va durer en général 24 mois.
L'astronaute doit donc être un véritable couteau-suisse ?
Effectivement, dans le modèle actuel, le modèle le requiert.
On forme les astronautes sur un éventail très large de compétences, afin qu'ils soient interchangeables.
On ne constitue pas véritablement ce que j'appelle un 'équipage fonctionnel'. On est plus sur des dynamiques nationales ou financières, où on va avoir un véhicule avec un nombre de places disponibles et ces places vont être allouées à des astronautes qui sont poussés par certaines dynamiques. Ce qui veut dire qu'on ne prend pas un véhicule et à l'intérieur duquel on va mettre un équipage fonctionnel, à savoir par exemple un pilote, un médecin, un ingénieur et un chef cuisinier.
Alors, on forme les astronautes sur un éventail très large de compétences, afin qu'ils soient interchangeables.
Comment adaptez-vous vos enseignements en fonction des retours d'astronautes, une fois une mission terminée ?
On essaye de former de façon globale et intégrale l'astronaute avant qu'il parte. Néanmoins, parfois, on a des ajustements à faire pendant la mission, parce qu'on ne peut pas tout prévoir. On anticipe, mais il arrive que des pièces cassent, donc, on doit former les astronautes in situ, alors qu'ils sont à bord.
Quand ils reviennent, ils vont avoir une période où on les laisse tranquilles. Mais très rapidement, ils vont re-rentrer dans un cycle de formation de routine en attendant la prochaine affectation. On est toujours en train de les former en permanence. Et effectivement, on est sur un système de feedback, de retour, où on est toujours en quête d'amélioration du contenu, de la durée, de la cible. On se fait des rapports les uns les autres, pour toujours être au plus près de la performance.
Passer de l'ombre à la lumière
Vous insistez sur ce point dans votre ouvrage, mais les sacrifices liés à la profession d'astronautes sont nombreux. Pourquoi est-ce important pour vous de mettre l'accent sur cet aspect d'un métier souvent glamourisé ?
Je trouve ça intéressant de mettre cet aspect oublié en valeur. Il y a un sacrifice physiologique : l'astronaute se met, pendant une longue période (en général six mois pour une mission standard), en état d'impesanteur, s'expose à un environnement radiatif fort, alors son corps va souffrir.
La plupart des choses vont revenir à la normale une fois qu'il sera réexposé à la gravité terrestre, mais il y a certaines choses qui ne pourront pas disparaître, certains dommages qui seront commis. L'irradiation, par exemple, on ne peut pas la gommer, on ne peut pas l'enlever en revenant sur Terre.
Il y a aussi le sacrifice de la distance, du travail, de l'éloignement des familles, des proches, parfois des loisirs ou d'un certain confort. C'est assez difficile.
De votre côté, vous êtes habituée à travailler dans l'ombre. Qu'est-ce qui vous a donné envie de partager votre expérience dans un ouvrage ?
Je me pose encore la question (rires). Parce que ce n'est pas une démarche qui me ressemble. Ce n'était pas mon idée de base, or, aujourd'hui, je suis très contente de l'avoir écrit. Et je suis assez fière du contenu, sincèrement. Cependant, avoir ce petit passage dans la lumière est compliqué pour moi. Mais s'il peut permettre de diffuser mon propos, mes idées, ça vaut le coup.
Le défi du tourisme spatial
Voilà quelques années que le tourisme spatial se développe. Quel regard portez-vous sur ce phénomène qui prend de l'ampleur ?
Il y a plusieurs formes de tourisme spatial. Par exemple, on a des vols touristiques orbitaux ou suborbitaux. Et puis, il y a aussi des vols touristiques qui vont à destination de la Station Spatiale Internationale.
À l'Agence Spatiale Européenne et au Centre de Formation Européenne des Astronautes, nous sommes tenus de former toutes les personnes qui vont se rendre à bord de la Station Spatiale Internationale, y compris le personnel commercial, les 'touristes' si on peut les appeler ainsi. C'est très sécurisant d'avoir cette capacité, parce qu'on ne s'improvise pas astronautes et on s'improvise encore moins à instructeurs d'astronautes. C'est quelque chose de très sérieux.
Je ne sais pas si le tourisme spatial qui est fait en dehors des organismes et des agences a un véritable intérêt pour l'humanité sur Terre.
Alors, la formation ou le tourisme à destination d'une structure où les agences ont un contrôle, où on a un peu encore la main, où on peut guider l'entraînement, je trouve cela sécurisant et intéressant. Ensuite, le tourisme spatial, qui est fait de façon commerciale pure et indépendante, en dehors des organismes et des agences, je ne sais pas si cela a un véritable intérêt pour l'humanité sur Terre".