Décembre 2018, un tweet devient viral. Selon ce post, dans une story instagram depuis supprimée, la top model Hailey Baldwin aurait déclaré « romantique » le fait d’avoir des poux en même temps que Justin Bieber, son -désormais- mari. "La plupart des gens trouvent ça dégoûtant, mais je pense que c’est romantique de l’avoir en même temps" - aurait-elle alors affirmé. Si de nombreux médias déclarent ensuite l’information fausse -il s'agirait d'une rumeur lancée par un compte fan de Miley Cyrus, apprend-t-on encore- notre incrédulité, bien réelle elle, demeure. Le doute est même permis puisque depuis plusieurs mois déjà, Justin Bieber est taxé dans la presse anglo-saxonne de "Scumbro".
Comme indiqué par le site dictionary.com, le scumbro décrit un style vestimentaire qui "implique de porter négligemment des vêtements de marques, donc coûteux, mais portés de manière démodé voire de mauvais goût". Les adeptes de ce look ? L’acteur Jonah Hill, le comédien Pete Davidson, Shia LaBeouf, Wiz Khalifa ou encore Justin Theroux.
Les femmes ne sont cependant pas en reste. Kirsten Stewart, la chanteuse Soko, Bella Thorne et, bien sûr, Mrs Bieber aka Hailey Baldwin sont régulièrement photographiées vêtues des dernières pièces de designer portées de manière négligée.
"Zoolander" dans la vraie vie
Ce nouveau style, qui prend le contre-pied du normcore -une esthétique de la normalité, sans marque ni logo- n’est pas sans nous rappeler Zoolander, film culte dans lequel Ben Stiller tient le premier rôle. Non pas pour le synopsis au huitième degré, mais bien pour le style extravagant des personnages interprétés par Stiller et Owen Wilson. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Premièrement, notons que la plupart de ces célébrités s’habillent par elles-mêmes. Notamment Jonah Hill, Bella Thorne, Shia Lebeouf et Pete Davison.
Et si Justin Bieber s'offre les services une styliste, Kara Welch, cette dernière a confié au site The Cut : "Ce que j'aime chez lui, c’est qu’il aime les vêtements, mais n’y pense plus après avoir franchi la porte. Il n’a peur de rien." Une prise de risque stylistique qui opère d'ailleurs un retour en force sur les podiums. On a récemment assisté au défilé de l’imprimé tie-dye ou de l’esthétique grunge chez Louis Vuitton, Stella McCartney, Prada, Jeremy Scott et Ottolinger.
De l'art d'avoir l'air négligé
Cet attrait pour le négligé n'est pourtant pas nouveau. Souvenez-vous, en 2000, une collection couture de John Galliano provoque le scandale. Son nom ? "Hobo", terme anglo-saxon qui signifie SDF. Le designer, qui a pensé sa collection comme un hommage, déclare alors s’être inspiré des sans-abris parisiens.
"Le sale (dans la mode, ndlr) c’est la subversion. Est-ce qu’à côté il y a vraiment un manque d’hygiène ?" Pas si sûr, d'après Manon Renault, journaliste et professeure à Studio Mode, qui envisage le phénomène sous l'angle de la posture rupturiste. "Finalement, c’est toujours faire semblant d’être sale sans jamais l’être totalement". Et de continuer : "Tu peux essayer d’avoir l’air débraillé, mais tu portes toujours des vêtements siglés. La différence n’est pas visuelle, mais de paradigme et d’idéologie : être sale, mais à l’abri dans sa classe sociale."
À contre-courant
Autre facteur qui tient son rôle dans ce retour du look négligé : la surabondance des clichés de perfection qui ont envahi les réseaux sociaux ces dernières années, Instagram en tête. "Tout ce qui vient déranger la perfection normative va être mis en avant par des artistes ou une avant-garde", note Manon Renault. Comme une réaction épidermique à ces images trop lisses, souvent scénarisées, certains internautes engagés prennent volontairement le contrepied de l'air du temps. On se souvient par exemple de l’apparition fulgurante du hashtag #hairyarmpit via lequel des femmes publient des photos d’elles avec des poils sous les bras.
On en revient au fameux concept d’imitation et de distinction énoncé par George Simmel, puis repris ensuite par Pierre Bourdieu. Quand on arrive à une période où le style est homogène, le besoin de distinction n'est plus très loin. "Dans les années 70 déjà, le sociologue Dick Hebdige* montre que les cultures juvéniles et subversives vont assumer une mode qui recherche ce côté subversif. Les mods** voulaient imiter les classes supérieures, mais ensuite, on a voulu les imiter parce qu’ils représentaient eux-mêmes une classe prolétaire qui cherchaient à imiter une classe supérieure", s’amuse Manon Renault. En d’autres mots, la mode est un éternel recommencement et nous, après tout ça, on rêve juste de prendre une bonne douche.
* auteur de l'ouvrage d'analyse de sous-culture culte, Le Sens du style
** "mods" est le nom donné à une sous-culture née à Londres dans les années 50.