C'est en septembre 2024 que de New York à Paris, les maisons de mode ont dévoilé leurs collections prêt-à-porter pour le printemps-été 2025.
La saison vue par Benjamin Simmenauer
Benjamin Simmenauer, directeur de la recherche à l'Institut français de la mode, décrypte les enjeux des dernières collections.
Marie Claire : De quelle façon pensiez-vous que les guerres et la récession économique allaient se répercuter sur les podiums ?
Benjamin Simmenauer : C'est la première fois depuis 15 ans que le luxe connaît une récession économique mondiale, avec une décroissance notamment en Chine et aux États-Unis. Face à cette crise, je me demandais si les collections allaient jouer la carte de la sécurité avec une forme de conservatisme et une sobriété esthétique ou bien au contraire se lancer dans des manifestations d'audace. Globalement, les grandes maisons ont plutôt opté pour la première réponse avec une emprise évidente de la rationalité des équipes en charge du merchandising. Parfois, et c'est dommage, on peut presque anticiper ce qui va défiler sur le podium.
Dans ce contexte particulier, est-ce que certaines tendances ont quand même émergé ?
Il y a une pièce très intéressante vue chez Saint Laurent, Bottega Veneta ou encore Alexander McQueen, c'est la grande veste avec des épaules droites, presque rectangulaires, parfois immense. Elle raconte ce retour au formel et au tailleur après des années marquées par le streetwear. Dans une période d'incertitude, c'est un vêtement qui permet d'affirmer son identité, mais avec une forme d'ambiguïté puisque son côté surdimensionné fait paraître le corps enfantin.
Est-ce que ce retour au tailoring est porté par la tendance du quiet luxury ?
C'est un terme qui n'a aucun sens, car le luxe est tout sauf quiet ! Il reste de la consommation ostentatoire. On n'achète pas un vêtement de luxe uniquement pour se faire plaisir, mais également pour marquer son appartenance à un groupe et manifester son statut social, que ce soit par une esthétique très reconnaissable ou bien la coupe impeccable d'une veste.
En revanche, la crise économique a permis aux marques de comprendre qu'elles ne pouvaient plus continuer à vendre des hoodies logotypés à 2 000 €. Les client-e-s préfèrent des pièces qu'iels pourront porter plusieurs saisons.
La lingerie et la transparence, omniprésentes sur les défilés, font-elles écho à une évolution sociétale ?
S’il y a libération des mœurs, elle reste virtuelle ! Ces silhouettes dénudées, comme celle du no pants vue il y a quelques saisons, sont surtout là pour créer du désir sur les réseaux sociaux qui mettent en avant une forme d’exhibitionnisme. Il ne faut pas oublier que TikTok et Instagram sont devenus les sources d’inspiration principales des directeur-rice-s artistiques. Mais certains designers s’emparent de cette nudité pour la détourner et la questionner.
Chez Balenciaga, Demna a commencé le défilé avec de la lingerie en trompe-l’œil. Une réflexion sur le réel et l’irréel, mais aussi un pied de nez aux deepfakes qui circulent sur Internet.
Si le vêtement porte une fonction divertissante, il peut aussi être, comme ici, un outil de compréhension de l’époque.
La saison vue par Victoria Martigues
La directrice des achats mode de la Samaritaine analyse les silhouettes qui ont émergé lors des dernières collections.
Marie Claire : On a beaucoup parlé du "quiet luxury", est-ce toujours une tendance forte la saison prochaine ?
Victoria Martigues : On continue à voir de belles pièces minimalistes et le savoir-faire reste très présent à la Fashion Week de Milan, de Brunello Cucinelli à Bottega Veneta en passant par Loro Piana. Mais les défilés printemps-été 2025 ont clairement marqué un retour à l'opulence et à la féminité. On perçoit une excitation et une envie de s'habiller à nouveau.
Globalement, les collections fonctionnent de moins en moins avec des tendances. Les marques préfèrent puiser dans leur ADN, replonger dans les archives et réinterpréter leurs codes. Chloé, par exemple, a retrouvé un imprimé des années 70 qui date de l'époque où Karl Lagerfeld dessinait les collections.
Les grandes marques préfèrent donc rester sur la déclinaison de leurs codes emblématiques ?
Les tendances vont et viennent, alors les maisons préfèrent s'en éloigner pour rester alignées avec leur héritage et fidéliser ainsi les jeunes générations plus enclines à zapper. Ralph Lauren en est un bon exemple avec son défilé organisé dans les Hamptons. C'est l'une des rares marques américaines à pouvoir rivaliser avec les titans européens. L'arrivée d'Alessandro Michele chez Valentino va dans ce sens également avec un premier défilé qui mêle sa patte aux archives de la maison italienne.
À quoi va ressembler le vestiaire du printemps prochain ?
Les collections ont fait émerger deux silhouettes : celle de la working girl et d'un power dressing à l'image du tailoring souple de Stella McCartney et des épaulettes larges de Victoria Beckham, mais aussi une féminité très délicate marquée par beaucoup de lingerie et de la transparence. Parmi les pièces phare, l'imperméable et la parka, portés sur des robes fines chez Zimmermann et des minijupes chez Rabanne.
Dans le même esprit, la collaboration de Cecilie Bahnsen avec The North Face était très réussie. D'une façon générale, c'est une mode urbaine, facile, portable et qui accompagne la vie de tous les jours. La commercialité des collections reste essentielle, mais cela ne semble pas brider la créativité, comme le montre la jupe plissée réinventée par Miu Miu.
Les marques semblent diversifier de plus en plus leurs accessoires ?
Des chapeaux, des bracelets, des ceintures, des bijoux... La saison prochaine, les sacs se portent sous le bras comme une pochette. On est moins dans l'ère du it bag mais plutôt dans l'accessoirisation avec des charms accrochés aux sacs comme chez Chloé et Stella McCartney. Prada a proposé une réédition ultra-désirable de ses chaussures emblématiques comme ses babies et ses derbies compensées.
Si s'habiller a longtemps consisté à enfiler un pantalon, un T-shirt et un manteau, les silhouettes sont de plus en plus élaborées avec un effort particulier sur le stylisme, à l'image de ce bracelet de pied en éponge porté avec des sandales chez Miu Miu.
La saison vue par Jenke Ahmed Tailly
Le styliste d'origine ivoiro-sénégalaise partage son sentiment sur la saison à venir.
Marie Claire : Quel regard portez-vous sur la saison qui vient de s'écouler ?
Jenke Ahmed Tailly : La Paris Fashion Week possède un rayonnement vraiment particulier par rapport aux autres villes, c'est de plus en plus flagrant. Cette saison a été marquée par des collections avec un ton précis, des changements très attendus à la direction artistique des maisons et une diversité de propositions. Si le calendrier rassemble les grands noms du luxe, Paris, encore plus que New York, Londres et Milan, s'inscrit comme une plateforme pour les jeunes designers moins puissants financièrement, mais tout aussi intéressants artistiquement. On voit émerger une nouvelle vague, de Kevin Germanier à Louis Gabriel Nouchi en passant par Alainpaul qui montre un talent fou pour mélanger le tailoring avec une palette exceptionnelle de couleurs.
Qu'en est-il des collections des grandes maisons ?
Certaines s'inscrivent très clairement dans un retour vers leurs fondamentaux. Je pense à Chemena Kamali chez Chloé, qui a très vite installé sa proposition fraîche et identifiable, dans l'essence même de ce qu'est cette maison. Idem pour le studio Chanel qui a livré une collection forte malgré le départ de la directrice artistique Virginie Viard en juin dernier. C'est une maison de couture empreinte de tellement d'emblèmes qu'elle peut se renouveler sans cesse tout en restant ancrée dans son héritage.
Quelle silhouette se dégage pour le printemps-été 2025 ?
Un côté indéniablement sexy et frais à la fois, à l'image du défilé Balenciaga ou de celui d'Hermès qui a joué de façon inattendue et pertinente avec la transparence. C'est un vestiaire qui fait écho à l'évolution de la femme dans la société qui peut à la fois être sexy et académique, jouer sur un tailoring très féminin, comme on a pu le voir sur les podiums de Prada et Miu Miu. Dans un autre genre, j'ai adoré la proposition d'Anthony Vaccarello pour Saint Laurent qui a imaginé des silhouettes très proches de l'esprit du fondateur de la maison, mais empreintes de modernité. Cérébral et très sexy à la fois.
On parle moins de diversité, est-ce parce qu'elle est désormais intégrée par les marques ?
Après le mouvement Black Lives Matter, toutes les grandes maisons avaient de bonnes intentions avec notamment l'émergence du métier de "chef-fe de la diversité". Sur les podiums et les campagnes publicitaires, on voit des filles issues de la diversité, mais du côté de la direction artistique, le manque de représentation de créateurs noirs est inadmissible en 2024.
Il y a certes Pharrell Williams chez Vuitton et Maximilian Davis chez Ferragamo, mais beaucoup de chemin reste à faire. L'Afrique a toujours inspiré la mode, mais il serait temps que l'industrie recrute les nombreux talents du continent dans les équipes créatives. C'est un combat qu'il faut continuer à mener.