"Il n’y a rien de tel que de se sentir mince !" Sortie médiatique aux relents grossophobes, cette phrase prononcée par Kate Moss en pleine gloire (et qui la poursuit encore) se révèle toutefois précieuse pour comprendre l’ascension fulgurante de la "Brindille", mais surtout sa longévité sur les podiums sans précédent.

Kate Moss dans les années 90

Car si l’image d’une Kate Moss sur un podium en pleine Fashion Week est — encore aujourd’hui — l’assurance de casser les internets, c’est aussi parce que sa carrière, sa personnalité, sa silhouette et l’aura cool qui ne cesse de l’entourer s’inscrivent fidèlement dans l'époque, marquée par une inflexion prononcée pour les petits gabarits, pour ne pas dire par l’apologie latente d’une maigreur glamourisée.

Kate Moss, une brindille sur le catwalk

Tout commence à la fin des années 90, plus précisément en 1989 alors que Kate Moss commence à défiler pour John Galliano, alors jeune designer prometteur.

Face à des podiums dominés par les impressionnantes Claudia Schiffer et Christy Turlington, Kate Moss, ses 14 ans et son 1,70 m font littéralement figure d’ovni.

Les jambes rachitiques, la taille menue, la poitrine et les fesses qui le sont tout autant, un minois aux pomettes hautes et au regard un brin paumé... Comme le soulignera à en 1993 le New York Times, l’adolescente androgyne a une allure de "gamine abandonnée", de fille ordinaire à la dégaine frondeuse, à laquelle le commun des mortelles peut soit s’identifier, soit (vainement) aspirer, versus les corps de demi-déesse qui sont à l’époque surmédiatisés.

Je me souviens de ma mère qui me disait qu’on ne peut pas tout le temps s’amuser. Et ma réponse reste aujourd’hui la même qu’à l’époque : Mais pourquoi pas ?

Un stigmate, un délit de (fausse) banalité en somme, qui deviendra finalement la signature de Kate Moss... Et celle d’une double décennie. Car si la top se fait connaître en faisant la couverture du numéro Summer of Love du magazine The Face, c’est la fameuse campagne Calvin Klein Obsession de 1992 signée Mario Sorrenti (et ses clichés au minimalisme dépouillé) qui propulsera Kate Moss au rang d’icône de mode idolâtrée.

C’est en effet le début de l’ère néo-grunge du début des 90's, qui se traduit dans l'industrie du luxe par l'héroïne chic, cette esthétique un brin nauséabonde mixant jeunisme et drogues dures, alors glorifiée par un secteur bien décidé à enterrer la puissante executive woman ou encore la bombe sexuelle affirmée façon Wonderbra.

Un changement de paradigme en pleine gueule de bois néolibérale, dont Kate Moss est la prodigieuse incarnation avec, parmi tant d’autres, sa participation au sulfureux défilé Perry Ellis automne-hiver 1993-1994.

Les scandale(s) de Kate Moss

Sexe, drogues et rock’n’roll. Plus qu'un mood dans l’air du temps qui se vendrait particulièrement bien sur papier glacé, la maxime se mue rapidement en philosophie de vie pour le jeune mannequin, qui ne cache pas son inflexion addictive pour la fête et ses dérives.

"Je me souviens de ma mère qui me disait qu’on ne peut pas tout le temps s’amuser. Et ma réponse reste aujourd’hui la même qu’à l’époque : "Mais pourquoi pas ?", raconte-t-elle dans le livre Kate: The Kate Moss Book (Rizzoli, 2012).

Un goût de l’excès et de la transgression côté cour, qui transparaît et alimente inlassablement ses passages côté scène, elle qui défile seins nus pour Vivienne Westwood (printemps-été 1995) ou vêtue d’un simple soutif’ décoratif pour Chanel (automne-hiver 1998-1999) comme pour doper de façon ostentatoire sa fashion désirabilité.

Kate Moss et Linda Evangelista à une soirée d'Allure Magazine en 1994.

Finalement, Kate Moss pourrait bien avoir conquis les podiums en s’y faisant beaucoup remarquer en dehors, les scandales de sa vie personnelle et la réputation qu’ils lui ont conféré l'autorisant à se permettre toutes les fantaisies en public.

Au fil des Fashion Weeks, elle osera donc les cheveux roses chez Chanel (printemps-été 1994) ou carrément rouge chez Dior (haute couture automne-hiver 1997-1998), la mini robe de mariée à paillettes signée Versace (couture automne-hiver 1995), le pantalon très très taille basse chez Alexander McQueen (automne-hiver 1996-1997) ou encore les seins coniques chez Thierry Mugler (haute couture automne-hiver 1995-1996).

C’est aussi elle qui, pour Marc Jacobs chez Louis Vuitton (automne-hiver 2011), se permettra de fumer une véritable cigarette sur le catwalk, ou de défiler vêtue en simple trench logotypé pour le défilé homme de la marque quelques années plus tard (automne-hiver 2018-2019).

J’aime être transformé en quelqu’un d’autre

Bref, un sens (plus ou moins) maîtrisé du scandale, qui la rend paradoxalement appréciable et appréciée, que ce soit par les jeunes femmes qui envient sa liberté ou par les marques qui voient en elle une machine à billets à chacun de ses passages sur le catwalk.

D’ailleurs, c’est aussi à Kate Moss que l’on fait porter les tendances les plus bankables, de la classique dégaine teenage girl de Tommy Hilfiger (printemps-été 1997) à l’irrésistible glam chic de Gucci (automne-hiver 1995-1996 et printemps-été 1996), en passant par la justesse minimaliste d’une Miuccia Prada alors particulièrement inspirée (printemps-été 1995).

Bref, tout ce que les bureaux de tendance ont anticipé en termes de fashion succès, Kate Moss l'a présenté au grand public. Ou quand la girl next door des quartiers sud de Londres se fait la muse d’une industrie élitiste dirigée par les plus fortuné-e-s…. Et rejoint le club fermé des jeunes millionnaires à seulement 20 ans.

Kate Moss, le caméléon des défilés

Mais ce qui fait le talent singulier de Kate Moss en tant que mannequin, c’est avant tout sa capacité à changer de rôle, à incarner de nouveaux personnages très différents, pour ne pas dire radicalement opposé, à chacune de ses apparitions. "On vante son caméléonisme" écrit Christian Salmon, chercheur au CNRS et auteur de l’article Kate Moss : la construction d’un mythe collectif.

"Au cours des années 1990, elle va incarner successivement la jeune fille "grunge" qui popularise les attitudes et les images du désarroi de la génération X, présentes par exemple dans le film de Gus Van Sant, Last Days inspiré des derniers jours de Kurt Cobain ou dans le roman éponyme de Douglas Coupland sorti en 1990", poursuit-il, racontant que la top demande toujours "What’s the story ?" lorsqu’elle arrive à une séance photo ou à un défilé, afin d'être la plus juste possible lors de sa prestation.

Kate Moss et Naomi Campbell aux Designer of the Year Awards de 1993.

Ses innombrables passages sur le podium sont autant de preuves irréfutables de cette faculté à changer de personnalité selon le bon vouloir du ou de la designer qui projette sur elle sa vision stylistique. "Je n’aime pas faire les choses en tant que moi-même. J’aime être transformé en quelqu’un d’autre", a-t-elle d’ailleurs un jour expliqué.

Sorcière nonchalante pour Martine Sitbon (printemps-été 1993), courtisane éplorée pour John Galliano (printemps-été 1994), riche héritière arty pour Yves Saint Laurent (printemps-été 1993), pop girl en latex (Anna Sui, printemps-été 1996) ou encore étudiante bohème (Chanel automne-hiver 1993-1994) : Kate Moss peut se vanter d’être toutes les femmes à la fois, y compris celles qui n’existent que dans l’imaginaire d’un-e photographe ou d’un-e créateur-rice.

C’est rebelle, d’une certaine manière, d’être soi-même

Elle repousse même les limites du mannequinat de chair et d’os lorsqu'elle se transforme en hologramme pour le show mythique d’Alexander McQueen (automne-hiver 2006-2007). Une omniscience stylistique et inspirante qui, selon Christian Salmon, s’inscrit dans un contexte socio-économique et culturel bien particulier.

"Kate Moss personnifie le nouveau mythe collectif du néolibéralisme où les idéaux-types des entreprises sont la flexibilité, la mobilité, l’adaptabilité, le nomadisme et le transformisme", avance-t-il. "La mode devient ainsi le laboratoire d’un nouvel idéal d’individu : le sujet fashion que Peter Sloterdijk qualifie d’individu "designer de soi " modelable à loisir, capable de se styliser, de se relooker sans cesse, de s’intensifier jusqu’à la fracture… Kate Moss en est le prototype, dans la mesure où elle s’invente sans cesse dans une redistribution de signes d’identités hybrides."

Kate Moss et Christy Turlington à la première du film Philadelphia en 1993.

En bref, plus qu’un diktat de beauté ou une vision de la mode à un instant particulier, Kate Moss devrait son succès à sa facilité à incarner sociologiquement une époque, la nôtre, dans laquelle on nous martèle que l’on peut, voire que l’on doit, être celle que l’on veut, quand on le veut, et ce, grâce à une quantité d’apparats vestimentaires et stylistiques.

Pourtant, il reste difficile de nommer une mannequin qui aurait été ou serait plus ostentatoire que Kate Moss dans sa manière d’affirmer sa personnalité. "C’est rebelle d’une certaine manière d’être soi-même", a-t-elle d’ailleurs un jour assuré, dénonçant à demi-mots ces rôles et scénarios que la mode nous incite à jouer. On ne saurait lui donner tort.

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Kate Moss au défilé au défilé Martine Sitbon printemps-été 1993

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Kate Moss au défilé au défilé Yves Saint Laurent haute couture printemps-été 1993

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Kate Moss au défilé au défilé Chanel printemps-été 1993

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Kate Moss au défilé au défilé Chanel automne-hiver 1993-1994

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Kate Moss au défilé Perry Ellis automne-hiver 1993-1994

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Kate Moss au défilé au défilé John Galliano printemps-été 1994

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Kate Moss au défilé Karl Lagerfeld printemps-été 1994

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Kate Moss au défilé Bella Freud printemps-été 1994

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Kate Moss au défilé Yves Saint Laurent printemps-été 1994

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Kate Moss au défilé Chanel printemps-été1994

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Kate Moss au défilé Yves Saint Laurent automne-hiver 1994-1995

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Kate Moss au défilé Vivienne Westwood printemps-été 1995

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Kate Moss au défilé Thierry Mugler haute couture printemps-été 1995

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Kate Moss au défilé Versace Couture 1995

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Kate Moss au défilé Anna Sui printemps-été 1996

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Kate Moss au défilé Alexander McQueen automne-hiver 1996-1997

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Kate Moss au défilé Gucci automne-hiver 1996-1997

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Kate Moss au défilé Tommy Hilfiger printemps-été 1997

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Kate Moss au défilé au défilé Marc Jacobs automne-hiver 1997-1998

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Kate Moss au défilé Dior haute couture automne-hiver 1997-1998

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Kate Moss au défilé Stephen Sprouse printemps-été 1998

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Kate Moss au défilé Chanel autome-hiver 1998-1999

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Kate Moss au défilé Gucci printemps-été 2001

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Kate Moss au défilé Alexander McQueen automne-hiver 2006-2007

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Kate Moss au défilé Louis Vuitton automne-hiver 2011-2012

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Kate Moss au défilé Louis Vuitton printemps-été 2012

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Kate Moss au défilé Louis Vuitton automne-hiver 2013-2014

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Kate Moss au défilé Louis Vuitton automne-hiver 2018

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Kate Moss au défilé Versace printemps-été 2022

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Kate Moss au défilé Bottega Veneta printemps-été 2023

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Kate Moss au défilé Victoria's Secret 2024

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