Le pantalon XXL, de vêtement trop masculin à intemporel du vestiaire féminin

Bien sûr, ce n'est pas la première fois que le pantalon s'offre des volumes aussi expansionnistes. Son histoire liée aux modes masculines a toujours obéi à des oscillations, voire des extrêmes.

Jugé trop moulant sur les Incroyables sous le Directoire, "porté trop large deux siècles plus tard par les “teenagers”, sur le modèle des prisonniers qui n'avaient pas de ceinture pour retenir leur pantalon, il est qualifié d'indécent par les conservateurs américains, raconte Laurence Benaïm dans Le Pantalon, une histoire en marche*. Jamais un vêtement ne fut plus populaire ni plus entaché de tabous. C'est avec lui que de véritables révolutions de la mode ont eu lieu, dans une revendication du mouvement, du corps, de toutes les libérations."

Si la silhouette slim, popularisée en 2005 par Hedi Slimane et immortalisée par le couple Pete Doherty et Kate Moss, a régné en maître sur ce début de siècle soulignant à grand renfort de Lycra les anatomies les plus diverses, le paradigme de l'"ultra-fitté" a commencé à se renverser en 2020.

Sans doute parce que les multiples confinements ont imposé la nécessité de vêtements plus confortables qui laissent le corps respirer.

Sans doute aussi l'esthétique des jeans larges, empruntée aux nineties, décennie des anti-modes s'il en est, s'accordait-elle davantage que le skinny à l'idéal d'aisance minimaliste et de modestie de l'ère post-covid.

Sans parler des kilos pris durant la période qu'il fallait bien cacher sous des coupes plus généreuses... En mars 2024, Paul O'Neill, directeur du design de Levi's, confiait ainsi à T Magazine avoir vu ces dernières années débarquer dans les boutiques des gamins achetant des modèles en taille 46 ou 48 et les portant avec des ceintures pour obtenir un look "ultra-oversize". Ce qui a poussé la marque à développer des jeans aux coupes de plus en plus XXL.

Depuis, cet esprit large a gagné l'ensemble des typologies de pantalons qui ne cessent de s'étoffer.

"Le pantalon est en progression depuis quelques saisons et fait dorénavant partie intégrante du vestiaire féminin, confirme Alix Morabito, directrice des achats femme, lingerie & enfant des Galeries Lafayette. Il s'est élargi au fur et à mesure, avec une approche très casual sur le denim ou plus formelle avec le total look tailleur, et les clientes se sont approprié ces propositions."

Lors des défilés printemps-été 2024 présentés en mars dernier, les jambes, déjà, prenaient l'air.

Ainsi, Chanel revisitait l'esprit presque jupe des pyjamas de plage portés par les élégantes en villégiature dans les années 1910, déclinés ici dans des imprimés fleuris. L'Orient venait imprimer le bouffant de ses sarouels chez Rabanne et Ralph Lauren, et le treillis militaire refaisait surface depuis les années 90 où il paradait sous les crop tops de Gwen Stefani.

Cet automne, son volume "sac" s'offre des proportions géantes sur un modèle en coton abricot lesté de poches, de zips et de boucles en métal signé Loewe.

"Je crois qu'avec toutes ces guerres, nous avons envie de nous habiller avec des carapaces, explique Gabriella Cortese, la fondatrice d'Antik Batik, qui l'a adopté dans ses collections.

Et c'est la raison pour laquelle les femmes plébiscitent ces treillis XXL qui ressemblent à des montgolfières."

“Pendant longtemps, les coupes amples n'étaient pas considérées comme sexy. Aujourd'hui, ” Gabriella Cortese

Il faut dire que le regard sur les volumes, surtout quand ils sont concentrés sur le bas du corps, est en train de changer.

"Pendant longtemps, le critère principal pour choisir un pantalon était qu'il fasse un "petit cul", poursuit Gabriella Cortese. C'est pourquoi les coupes amples n'étaient pas considérées comme sexy. Mais aujourd'hui, notre œil s'est habitué aux fesses généreuses. Ces silhouettes qui étaient considérées auparavant comme masculines sont devenues au contraire très féminines, voire puissantes."

D'autant que la taille et les hanches restent généralement marquées, le volume se concentrant essentiellement autour des jambes. "Cette tendance m'évoque un esprit post-saharienne très Saint Laurent, mais aussi l'esthétique des photos de Steven Meisel avec ces filles aux bustes très fins et aux larges pantalons bouffants", précise la créatrice.

D'ailleurs, la collection capsule imaginée et immortalisée par le photographe culte pour Zara en septembre dernier regorgeait de pantalons extra-larges en cuir ou en denim noir.

L'idée phare, c'est le volume !

Les coupes masculines osent les largeurs "oversize", coordonnées avec des vestes (Ann Demeulemeester) et rentrées dans des bottes pour un petit côté moujik de luxe, jouent les doubles plis pincés (Alberta Ferretti) pour structurer sur la jambe des effets en 3D, tirebouchonnent sur le pied de manière sculpturale (Acne Studios).

"Dès la saison dernière, j'ai eu envie de travailler sur notre pantalon signature à jambe large en jouant avec la forme et le volume et en expérimentant d'autres matières comme le denim, le cachemire et la soie, explique la directrice artistique de Gauchere, Marie-Christine Statz.

Mais ce qui m'intéresse avant tout ce sont les contrastes qui vont permettre de créer une nouvelle silhouette."

Car ici l'érotisme semble s'être décalé vers le buste avec des tops moulants ou des tissus transparents (le retour du nude look chez Saint Laurent), le bas jouant la pudeur maximale en couvrant la peau jusqu'aux chevilles, voire le sol dans de grands effets de tissu façon traîne. Oui, cette saison, le pantalon devient encore plus dramatique.

"Ce qui est intéressant, c'est qu'il continue à s'élargir, à s'assouplir avec des jeux de coupes en biais, de plis, de couture genoux ou de jeux de poches pour garder de la structure, explique Alix Morabito. Surtout, il se décline sur des matières plus sophistiquées. Le pantalon devient alors la pièce phare de la silhouette."

Pour autant, il ne faudrait pas remiser définitivement ses jeans slims au placard : les podiums ont amorcé timidement son retour pour l'hiver prochain. En matière de pantalon, autant garder l'esprit large.

(*) Éd. de l'Amateur, 1999.