8 juillet 2016. Transformées en catwalk pittoresque, les ruelles escarpées de Naples sont, le temps d’une soirée, le théâtre du nouveau défilé Alta Moda de Dolce & Gabbana. Hommage fantaisiste à la cité italienne, la collection se fend d’une série de clins d’œil second degré, allant jusqu’à revisiter le plus mythique des maillots de foot de la SSC Napoli : le n°10, celui de Maradona. Une déclaration d’amour qui - en dépit du micro-scandale judiciaire qu’elle engendrera - ouvre alors un nouveau chapitre des liaisons tumultueuses qui lient le ballon rond au cercle modeux. 


Crédit : Imaxtree / Daniele Oberrauch


Une histoire qui ne date pas d'hier

Car si, par le passé, bon nombre de footballeurs se sont vainement évertués à conquérir une industrie du prêt-à-porter à grands renforts de labels éponymes au bon goût défaillant (la truculente ligne CR7 de Cristiano Ronaldo pour ne citer qu’elle), c’est aujourd’hui la mode avec un grand M qui déclare sa flamme au soupirant footeux. Un volte-face inattendu qui trouve son expression la plus flagrante dans les collections de créateurs comme Gosha Rubchinskiy, le designer russe revisitant sur un mode underground le vestiaire footeux de son adolescence, de l’écharpe de supporter au maillot de foot floqué. Même empreinte créative du côté de Demna Gvasaliaqui chez Vetements comme comme chez Balenciaga, distille la culture foot des années 90 sur des pièces inspirées du dress-code des supporters. 


Ces derniers - souvent réduits à des clichés peu flatteurs - peuplent d’ailleurs les hauts rangs de la mode à l’image de Christelle Kocher, directrice artistique des ateliers Lemarié et fan inconditionnelle du PSG qui, pour sa collection éponyme automne-hiver 2018 a lancé une collaboration inédite (et officielle!) avec le club parisien. Au programme : une série de maillots revisités façon Couture qui se sont littéralement vendus comme des petits pains. “Intégrer le football dans une collection de prêt-à-porter, c'est aussi porter les valeurs positives que véhicule ce sport, extrêmement populaire, qui a le don de rassembler" expliquait la créatrice au micro de France Inter. Plus récemment, c’est Versace qui a rejoint la vogue du ballon rond, parant ses mannequins d’écharpes au marquage “Versace FC” ultra-instagrammable.

Quand l'esthétique foot est à la mode

Résultat ? Les équipementiers s’arrachent aujourd’hui les bons et loyaux services de ces créateurs “soccer-friendly” à l’image de Gosha Rubchinskiy qui a noué un partenariat multi-saisons avec Adidas Football. De la même manière, Nike a dévoilé, début juin, aux côtés de Virgil Abloh (récemment nommé directeur artistique des collections Vuitton Homme) et de Kim Jones (passé chez Dior homme) deux lignes de vêtements et baskets inspirées de l'univers du football. Des unions stylistiques qui marquent le point d’orgue de cette nouvelle tendance, d’autant plus opportune qu’elle intervient stratégiquement en pleine Coupe du Monde. 

Véritable usine à merchandising, la compétition a d’ailleurs été le théâtre de ventes records de maillots, dont la désirabilité dépend moins des chances de victoire de l’équipe concernée que de son éventuelle esthétique branchée. On pense au très stylé maillot du Nigeria, signé Nike, qui selon la marque, se serait vendu à près de 3 millions d’exemplaires à travers le monde. Et il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour comprendre qu’il est autant porté par les modeux que les (vrais) footeux. 



Une micro-tendance qui, en pleine tornade streetwear et résurrection du tout-logo, n’a rien d’une coïncidence, le maillot en question ayant été soigneusement diffusé sur les réseaux sociaux par des ambassadeurs 3.0. Une stratégie marketing digne de celle d’un lancement de parfum ou d’un sac de luxe, que d’autres grands noms du football, américains et européens, ont su subtilement adopter. 

C’est ainsi qu’en France, depuis son rachat par le Qatar, le PSG s’est mué en label de mode respectable et respecté, enchaînant les collaborations avec des concept-stores branchés (dont feu Colette) et transformant une partie de ses tribunes en “place-to-be” pour it-girls aux comptes Instagram bien fournis. "L'ambition, c'est de rentrer rapidement dans le cercle fermé des cinq plus grands clubs européens. On veut construire une marque mondiale de sport. C'est une stratégie nouvelle en France" prédisait déjà Jean-Claude Blanc en 2013.

Même son de cloche pour l'AC Milan qui signe depuis 3 ans une collaboration avec Diesel. La marque aujourd'hui pilotée par le designer italien Andrea Rossohabille les footballeurs de l'équipe milanaise et dédie même une collection capsule pour les supporters de la marque. Vibe streetwear où on retrouve hoodies, polo, casquette ou encore t-shirts.



Une période de revendication

Mais ce n’est pas le seul point commun qui unit les marques de luxe aux clubs de foot. Comme le souligne le journaliste Calum Gordon sur Vice.com, ces équipes au folklore spécifique (uniforme, emblème, couleurs, chants…) et socialement fédérateur relèvent, comme les grandes maisons à l’héritage patrimonial, d’une culture clanique galvanisante, leur assurant unité et longévité. Au-delà de son esthétique singulière, le football est en effet l’un des rares sports collectifs qui cultive un tel sens de la dévotion et de la loyauté auprès de ses adeptes, transcendant toutes les frontières qu’elles soient générationnelles, socio-économiques ou géographiques. “Jusqu’à récemment, porter une écharpe de foot était un acte revendicateur. On affichait ses couleurs, sa ville, son emblème. 

On portait son club sur la nuque telle une armure” explique aux Échos Guillaume Salmon, ancien directeur de la communication chez Colette. Une forme de “tribalisme” précise Gordon, au sens ethnologique du terme, qui sonne comme une stratégie marketing rêvée pour les groupes de luxe, dont les labels à l’esthétique autrefois bourgeoise, s’empare aujourd’hui de façon ostentatoire des codes stylistiques urbains et populaires, y compris ceux du football. Le but ? Susciter, notamment auprès des tant décriés millenials, le même fanatisme pour Versace, Gucci ou Balenciaga que pour Manchester United ou le Barcelone FC. Et générer la même irrépressible fidélité.