C’est une sensation que tout le monde connaît. Le scroll infini et aléatoire à travers des pages et des pages de vêtements dont, la plupart du temps, l'achat n'est pas nécessaire. La quête, précise au contraire, d’une pièce ultra spécifique repérée sur cette influenceuse célèbre ou dans un magazine. Le besoin de refaire sa garde-robe à l’arrivée d’une nouvelle saison, à cause de la sensation, souvent irrationnelle, de ne plus rien avoir à se mettre. Cette hésitation entre deux tailles, ce dilemme face à deux modèles pourtant similaires ou cette culpabilité lorsque l’on réalise que cette enseigne n’est pas franchement la plus éthique.

Mais rien n'y fait : on finit tout de même par cliquer, par rentrer son adresse et ses codes de carte bleue avant de recevoir le mail de confirmation qui se double, presque toujours, d’un sentiment de joie ou du moins d’un frisson de satisfaction.

Et malgré la culpabilité et les remords, on recommence inlassablement, à une fréquence plus ou moins raisonnable, pour répondre à des besoins de consommation plus ou moins pertinents, le tout avec un moral plus ou moins en berne.

Pendant la pandémie de Covid-19, par exemple, les ventes en ligne ont littéralement explosé, augmentant de 43 % pour atteindre 815 milliards de dollars aux États-Unis en 2020. Si ce pic de shopping virtuel peut s’expliquer par la fermeture de certains commerces et la peur de contracter le virus en s'aventurant hors de chez soi, il s’explique aussi par le besoin de compenser un contexte un brin anxiogène via des achats plaisants.

La dopamine, la drogue du shopping en ligne

Une étude publiée en 2014 dans le Journal of Consumer Psychology confirme que l’acte d’acheter, même un simple T-shirt, agirait comme un boosteur d’humeur.

La raison ? Lorsqu'un-e consommateur-rice clique sur le bouton "acheter" sous le visuel de la paire de chaussures ou du manteau qui lui plaît, son cerveau a la bonne idée de le-la récompenser immédiatement en sécrétant une dose de dopamine. Oui oui, cette molécule du plaisir qui pousse les individus à suivre et à reproduire les actions qui leur font du bien.

Plus bluffant encore, le simple fait de naviguer et de remplir un panier virtuel — sans même acheter les articles sélectionnés, donc — suffirait à stimuler la libération de cette hormone du bonheur. Comme le précise l'étude, la projection mentale de l’achat suffit en fait à donner une sensation de satisfaction anticipée.

Pas étonnant, alors, que l’on puisse passer des heures à sélection des articles… Pour finalement fermer l’onglet du navigateur Internet sans sortir sa carte bleue, comme si de rien n'était.

Un effet bénéfique d’autant plus amplifié par le caractère numérique de ce mode de consommation qui, en comparaison avec le shopping physique, se révèle plus rapide, plus fluide et ne nécessite aucun effort physique.

Pour Jorge Barraza, professeur en psychologie appliquée à l’université de Caroline du Sud, interviewé par le Time Magazine, cette dopamine serait particulièrement bénéfique dans les moments de stress.

En période d’anxiété ou d’incertitude, acheter en ligne procurerait en effet la sensation de reprendre une certaine forme de contrôle sur sa vie, même temporairement. Le ou la cliente choisit ce qu'iel veut, quand iel veut, avec la sensation que rien ne peut le-la limiter, ni le-la contrarier.

La réception du colis, un plaisir démultiplié

Autre raison pour laquelle le shopping en ligne est une source inépuisable de plaisir pour certain-e-s ? La réception du colis, qui, quelques jours après la commande, s’impose comme un rituel qui couronne cet achat d’une aura quasi spirituelle.

"Recevoir un paquet, même si l’on sait exactement ce qu’il contient, a cet effet de petite fête personnelle", décrit le psychologue Joshua Klapow, de l’université d’Alabama à Birmingham, toujours dans l'article de Time Magazine. L'expert compare cette excitation à celle éprouvée par un enfant le matin de Noël, devant les paquets entassés sous le sapin.

L'attente activerait en effet un circuit émotionnel très proche de celui des récompenses imprévues via une forme d’anticipation douce qui, en libérant de la dopamine, maintient l'individu dans un état de satisfaction latente.

L'universitaire va plus loin en expliquant que l’e-commerce offre aussi une gratification instantanée et une anticipation décalée. En un clic, l’achat est confirmé : c'est la satisfaction immédiate. Puis, vient la satisfaction différée de la réception du produit.

Un double plaisir à la mécanique bien huilée en somme, que les acheteur-euse-s en ligne pensent d’ailleurs pleinement maîtriser.

Une abondance à portée de main

Consumérisme oblige et drops incessants de nouveautés, le shopping en ligne, c’est aussi — pour le cerveau— l’accès à un univers sans limites, à un monde en apparence merveilleux, où chaque pièce est à portée de clic, y compris celle que l’on ne pourra décemment jamais s’acheter.

"L’e-commerce, c’est l’idée de réduire toutes les frictions du shopping traditionnel", confirme Joseph Klapow. Et c'est précisément ce qui le rend particulièrement puissant.

Fini, les ruptures de stocks, les tailles manquantes ou tout simplement la crainte de se faire juger par les employé-e-s dans les boutiques de luxe… Le shopping virtuel est un terrain de jeu sans fin où la gratification est omniprésente.

Une expérience d’autant plus satisfaisante qu’elle se trouve aujourd’hui de plus en plus personnalisée par des algorithmes aux formules affutées. Résultat, les sites d’e-commerce arrivent à cerner les goûts et les envies des internautes en seulement quelques secondes, proposant une sélection sur-mesure qui leur sera livrée en moins de 48 h.

Soit un bonheur moins arbitraire que le résultat d’une grande machination marketing, qui laisse finalement un léger goût amer.