"Je me suis regardée dans le miroir au-dessus du lavabo. J'ai réalisé que je n'avais pas changé de coupe de cheveux depuis mon adolescence. Je me suis assise par terre et j'ai étalé les quelques magazines de rock qui étaient en ma possession. (…) J'ai découpé toutes les photos de Keith Richards que j'ai pu trouver. Je les ai étudiées un petit moment, puis j'ai sorti mes instruments et, à grands coups de cisailles, j'ai fait mes adieux à l'ère folk. (…) C'était une expérience libératrice. (…) Des portes se sont soudain ouvertes", écrit Patti Smith dans Just kids, livre qui retrace ses débuts à New-York dans les années 70.

La chanteuse et poétesse n'est pas une exception, les changements radicaux de coupes et coiffures agissent fréquemment comme un révélateur. "Une femme qui coupe ses cheveux s'apprête à changer de vie", disait Coco Chanel, citation reprise dans le très beau livre de photos Hair de John Barrett.

Un tournant entre passé et avenir capillaire 

La chevelure est à la fois moteur et conséquence d'une évolution en cours. Comme un rite de passage – parfois inconscient : couper, transformer, laisser pousser, changer de couleur de cheveux marque un tournant entre un passé avec lequel on veut rompre et un avenir que l'on désire écrire.

Changer de coiffure est un bon moyen de se (re)positionner et de s'affirmer, vis-à-vis des autres mais avant tout à ses propres yeux. "Car 'se réaliser' n'est rien d'autre que mettre à l'œuvre son pouvoir d'action sur soi, son soi donc, à des fins de construction d'un autre soi que l'on tiendra pour son 'vrai' soi. (…) C'est faire en sorte que, en agissant sur soi-même, la personne advienne à une forme d'existence et de cohérence renouvelée", écrit l'ethnologue Michel Messu à propos du façonnage de la coiffure.

Anne Boutelant, thérapeute, a fait le choix, au moment d'entamer une nouvelle vie professionnelle, de se couper les cheveux très courts. "J'étais en mode warrior. Chaque matin devant le miroir, ma coupe me rappelait tout ce que j'avais mis en place." Cependant, il arrive que le regard que l'on porte sur soi soit si négatif, après une rupture brutale par exemple, que l'acte de transformation se fait avec violence.

"On se coupe alors les cheveux de manière à s'enlaidir, pour se punir, poussée par un sentiment de culpabilité très fort, analyse Lucie Arnulf, psychothérapeute. Parfois, c'est une façon de déplacer la douleur. On souffre de se voir laide au lieu de souffrir d'une situation que l'on vit comme insurmontable."

Couper ou laisser pousser, une manière de s'affranchir 

Comment expliquer que l'on investisse autant sa chevelure ? "C'est la seule partie du corps, avec les ongles, que l'on peut vraiment modifier sans prendre de réel risque, les cheveux finissant toujours par repousser, analyse l'ethnologue Christian Bromberger . C'est cependant un phénomène relativement récent. Avant les garçonnes de l'après-Première Guerre mondiale, les femmes étaient tenues de porter les cheveux noués en chignon." En se débarrassant de leurs longueurs, symbole hautement féminin, ces femmes ont manifesté leur volonté de s'émanciper des hommes.

Lorsqu'on dit adieu à ses longueurs d'enfant ou, au contraire, lorsqu'on ose laisser pousser ses cheveux que l'on porte courts depuis toujours (parce qu'on nous a répété par exemple qu'ils n'étaient pas beaux), on s'affranchit d'une autre autorité, "celle des parents, qui nous poursuit parfois longtemps dans la vie", constate Anne Boutelant. En changeant, on affiche sa position d'adulte et la prise de pouvoir que l'on reprend sur sa vie. L'envie de bousculer sa coiffure peut se manifester à n'importe quel moment et à n'importe quel âge. 

"Il n'y a rien de pire pour un coiffeur que de dire à une cliente : 'On fait comme d'habitude ?' et de l'enfermer dans une image. Il faut toujours rester à l'écoute, comprendre les mouvements même infimes de sa vie et l'accompagner, estime le coiffeur Frédéric Mennetrier. Le besoin de nouveauté se sent parfois sans qu'il soit clairement exprimé. Notre rôle de coiffeur est de régler la question de l'esthétique pour que le changement soit réussi."

Hommes et femmes, égaux devant le coup de ciseau libérateur

Quels que soient les aléas de la vie, l'évolution du cheveu "marquera l'histoire de chacun d'entre nous et marquera avec une certaine force des 'époques'", écrit encore Michel Messu. Hommes et femmes sont égaux devant le coup de ciseau libérateur, même si la chevelure a tendance à être plus investie par les femmes, les hommes s'exprimant plus volontiers avec leurs poils. Il n'est d'ailleurs pas rare que certaines laissent repousser leurs cheveux au moment de la ménopause, comme une résistance face au sentiment de perte d'une part de leur féminité. 

"Très tôt dans l'histoire, on a établi le stéréotype des cheveux longs pour la femme. Pour les hommes, la symbolique de la chevelure a été plus ambivalente et changeante selon les époques", explique Michel Messu. Aujourd'hui, le clivage capillaire homme-femme s'estompe au profit de l'individualisation. "On cherche à s'exprimer en tant qu'individu et on assiste à un rapprochement entre les coupes masculines et féminines, l'expression de la féminité pouvant passer par d'autres attributs comme le maquillage, les bijoux, plutôt que la chevelure", constate Christian Bromberger.

On n'a jamais été aussi libre d'explorer le pouvoir d'une métamorphose capillaire. Il serait dommage de s'en priver.

1/5

Bénédicte, 33 ans, journaliste à "Vanity Fair"

Paloma Pineda

"Pour faire très court : j'ai été une petite fille avec les cheveux très longs et très bouclés. Ma mère ne savait pas les gérer.

Et comme, dans l'esprit de beaucoup de gens, la boucle est sale par essence et négligée, ma mère n'a pas échappé à la règle et j'ai commencé les brushings dès l'âge de 4-5 ans, en troisième année de maternelle. Après, adolescente, tout le rituel autour de mes cheveux a continué à être extrêmement lourd et douloureux : ils étaient très emmêlés, les laver n'était jamais un plaisir, il fallait utiliser la moitié d'une bouteille de shampoing, ils mettaient des heures à sécher.

Tout le monde s'en moquait parce qu'ils étaient comme de la laine. J'en faisais des crises de nerfs, à les attaquer aux ciseaux de cuisine. Puis à 25 ans, j'ai découvert le lissage brésilien. Un calvaire – passer six heures sous un fer à lisser –, mais, enfin j'avais les plus beaux cheveux du monde : très souples, très soyeux, très ondulés, très BarbarellaÇa a duré plusieurs années.

Jusqu'à ce qu'en novembre dernier, l'enfant contrariée en moi, sans doute, prenne rendez-vous en une fraction de seconde chez le coiffeur. Pour lui dire 'Maintenant, ça suffit. Libérez-moi. Taillez dans le tas.' Et je pense que d'avoir été capable, comme ça, de me débarrasser de 35 à 40 cm de cheveux dans la journée m'a donné, de manière générale, une force : celle de ne plus avoir à subir et de savoir dire non."

2/5

Louise, 33 ans, DJ

Paloma Pineda

"C'était l'année de mes 30 ans, je m'étais mise au sport, j'avais arrêté le sucre, j'étais amoureuse. Je n'avais plus besoin de rien. Même pas de mes cheveux. J'ai dit à mon mec – enfin, mon ex – que j'étais prête.

Il a attrapé sa tondeuse. Et dix minutes plus tard, j'avais la boule à zéro. Et c'était comme si je découvrais mon visage. Et toute la place que j'avais pour sourire, jusqu'aux oreilles. Avec le recul, je crois qu'il y avait aussi dans cette expérience une intention de faire peau neuve et de dire au revoir aux projets passés. Je venais de me séparer de ma meilleure amie et partenaire de mix. J'avais besoin d'exprimer cette rupture par un signe extérieur physique.

Et puis, je suis une nerd, une experte. Je m'y connais en musique. Et j'en avais marre d'être considérée comme la petite mignonne de service dans un monde dominé par des hommes hétérosDonc, en l'espace de dix minutes, on peut dire que je suis passée de petite mignonne à badass. Et depuis ? J'ai laissé repousser mes cheveux. Parce qu'il n'y a plus un seul mec ni une seule nana qui peut me faire douter.

Et parce qu'aujourd'hui, j'ai envie d'être dans la séduction. Et que pour beaucoup d'hommes, une femme aux cheveux courts est encore une menace. Alors qu'une femme aux cheveux longs, il y a l'idée que c'est une femme à laquelle on peut s'attacher. Et une femme en chignon ?Une femme en chignon, c'est une femme qui a le choix. Entre s'attacher ou pas les cheveux."

3/5

Sophia, 22 ans, étudiante

Paloma Pineda

"J'avais obtenu ma licence en économie-gestion. J'étais censée continuer avec un master. Mais les concours m'ont découragée et, du coup, j'ai décidé de partir six mois à l'étranger. Toute seule. Sac sur le dos.

J'ai atterri à Cancún, au Mexique. J'ai rapidement trouvé un job à l'auberge de jeunesse de Playa del Carmen. C'était super. Je vivais en coloc avec des jeunes du monde entier. Mais ma mère vient de Marie-Galante, une île au large de la Guadeloupe, et mon père est ivoirien-ghanéen. Donc, c'est dans ma culture, sans pression aucune : j'avais toujours défrisé mes cheveux. Et là, impossible de les maintenir en état. Je ne trouvais aucun des produits de soin appropriés.

Petite explication : si on n'hydrate pas les cheveux défrisés de manière très poussée et régulière, ils cassent, en moins d'une semaine. C'est donc dans ces circonstances, après avoir bu une Margarita (j'étais barmaid), que j'ai demandé à un copain argentin de me faire mon 'big chop' (expression consacrée, chez les Afro-Américains, pour évoquer le rite de retour du cheveu afro naturel, ndlr). Il a tout coupé. Très, très court. Frange incluse. Pour ne garder que la base de mon cheveu, crépu.

Et depuis que je suis rentrée, en mai, en France, tout a changé : je ne me maquille plus, alors qu'avant j'en mettais des tonnes. Je porte des boucles d'oreilles plus lourdes, plus imposantes. Des chemises exotiques ou tropicales. Des vestes très larges que je pique à ma mère. J'ai confiance en moi. Et on ne cesse de me le répéter : je fais beaucoup plus adulte."

4/5

Erinn, 47 ans, productrice

Paloma Pineda

"Je n'avais pas envie de témoigner, parce que je trouve le sujet des cheveux futile et l'idée d'être citée dans un article qui parle de ma nouvelle coupe me paraissait complètement… Mais c'est vrai que depuis que je me suis coupé les cheveux, il y a cinq mois, tout le monde m'en parle.

Tous les jours. Il y a ceux qui me félicitent. Qui me disent que j'ai fait le bon choix. Qui 'valident', donc. Il y a ceux qui me demandent si je suis malade. Ou si je suis bouddhiste. Il y a ceux qui se permettent de me toucher la tête. C'est bizarre, non ? Et il y en a même qui me disent que je suis 'courageuse'. Alors que je n'ai pas fait un truc dingue. Je n'ai pas opéré des bébés. Je me suis juste coupé les cheveux. Un acte égoïste, assumé et assez simple.

Et, finalement, ce qui m'intéresse dans votre démarche, c'est de pouvoir me questionner à voix haute sur ce non-évènement qui fait tant réagir. Et je dois dire que je n'avais pas anticipé que ça me plaise autant. D'interpeller. Donc peut-être qu'inconsciemment, j'ai voulu marquer un point ? En tout cas, s'il était admis qu'une femme puisse faire ce qu'elle veut de ses cheveux…

Parce que le fond du sujet, il est là. Pourquoi ce diktat des cheveux longs, quand on est une femme ? Mon petit voisin, un jeune garçon, a les cheveux sous les épaules. C'est super et personne ne trouve ça étrange. Profitez-en, donc, pour publier votre sujet parce que normalement, nous devrions évoluer vers ça. Et dans vingt ans, il n'aura plus lieu d'être."

5/5

Constance, 37 ans, intermittente du spectacle

Paloma Pineda

"Je me suis toujours coloré les cheveux. Parce que je n'ai jamais aimé mon châtain chiant. Pendant des années, j'ai changé tout le temps de roux. Et puis, en février de l'année dernière, j'ai eu envie d'un truc un petit plus osé, plus original. Et je trouvais très beau le peachy (rose pêche, ndlr). Mais pour obtenir cette couleur, il faut passer par une décoloration. Et Sylvain, mon coiffeur, avait peur que ça n'aille pas avec mon teint très pâle.

J'ai quand même voulu essayer. Et quand nous avons vu le résultat – un blond très pur, très frais, hyper-solaire – on s'est dit : 'Putain, ça marche vachement bien.' Après hésitation, j'ai poursuivi sur le peachy. Qui n'a pas bien tenu. Et c'est finalement trois semaines plus tard, le 16 mars 2018 que je suis devenue blonde. Blonde décolorée.

Et vous voyez, avant, dans mon métier – je travaille à la télé –, c'était compliqué, pour moi, parce que je m'appelle Constance, que j'ai un physique très sage, très français, que je parle bien. Donc les gens qui me croisaient s'imaginaient de prime abord que j'étais une petite bourge, très classique.

Alors qu'aujourd'hui, c'est con, hein ? Ça va faire slogan de pub. Mais je crois que je peux dire que ça y est : j'ai trouvé ma couleur. Le blond décoloré me permet d'exprimer qui je suis. Une rigolote. Une fantaisiste. Un brin foutraque. Un brin déglingué."

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