On nous l'avait annoncé, on nous l'avait promis : après un an et demi de pandémie et de télétravail en legging, l’envie de revêtir nos plus beaux habits allait se faire sentir comme celle d’un ragoutant MacDo en sortant de boîte de nuit.
Exit les dégaines atleisure d’Instagrammeuses aux abdos saillants et les survet’ monochromes façon Kim Kardashian : la mode, la vraie, ferait un retour tonitruant, réhabilitant une dignité vestimentaire autrefois garante de notre salut identitaire et transformant rues et boulevards ubrains en défilé à ciel ouvert !
Pour David Hart, le monde d’après irait de concert avec "un désir fort de s’habiller de nouveau" tandis que l’illustre Jean-Jacques Picart promettait en mai dernier dans les colonnes du Madame Figaro "une période de défoulement, (...)une explosion de mode, une consommation grisante et joyeuse". Pas plus, pas moins. Et ils ne sont pas les seuls.
On remarque que les gens retournent faire les magasins, mais plus finalement pour le plaisir de la balade, de flâner, de faire du lèche-vitrines ou juste d’essayer.
Depuis le début de la pandémie et le triomphe de l’homewear, historiens de la mode et experts fashion n’ont eu de cesse de le répéter : après chaque grande période de crise socio-économique (et par extension de relâchement stylistique), que cela soit celle de 29 ou celles des deux grandes guerres mondiales, on note un opulent retour à la coquetterie et à l’extravagance.
Un plaisir un brin narcissique de s’apprêter et se révéler sous son plus beau jour, qui répondrait également à des enjeux thérapeutiques moins futiles que salvateurs. "Qui, après une journée morose, n’a jamais eu envie d’enfiler une nouvelle tenue pour changer d’humeur ? Ce comportement s’appuie sur l’idée selon laquelle l’humeur imprégnerait nos vêtements, comme s’il y avait une perméabilité entre l’intérieur et l’extérieur." analysait la psychiatre Catherine Joubert dans Psychologies à la sortie de son livre, rappelant la fonction transitionnelle de notre accoutrement.
Sauf que dans les faits, c’est un peu plus compliqué. Et je ne dis pas ça simplement parce que j’ai tendance à enfiler un jogging après une journée bien pourrie ou parce que lors du dernier dîner auquel j’étais conviée, 3 des 4 convives de genre féminin portaient un pull oversize et un habile legging, hashtag winter is coming.
S'habiller de nouveau après le covid
Certes, à l'arrivée de l'été, on a toutes voulu dégainer nos tenues d’or et de lumière et réveiller l’Iris Apfel qui sommeillait en nous, quitte à faire dans l’excès et prendre le radical contre pied de l’oisiveté vestimentaire dans laquelle on s’était complaisamment réfugiée.
Robes virevoltantes, talons vertigineux, blouses bouffantes, le tout sur fond d’explosions de couleurs et/ou d’imprimés : tout le monde y est allé de son statement mode, y compris ceux et celles qui militaient pour le #Nobra et le total-look jogging 9 mois auparavant. Car, comme le disait si bien Miuccia Prada, la mode est un langage : ce que l’on porte reflète notre façon de nous présenter au monde.
"J’avoue avoir eu à nouveau envie de m’habiller et je suis plutôt difficile à convaincre d’habitude. Mais je me suis effectivement achetée quelques pièces cet été." confesse Célina Bailly, styliste et directrice artistique au sein du bureau de tendances Promostyl.
"Globalement les gens ont eu envie de s’habiller de nouveau et qu’à part sur Instagram, on ne voit plus vraiment personne dans la rue en survêtement" admet-elle, tout en relativisant d’emblée : "On est loin d’avoir retrouver le même rythme, la même "passion" qu'avant la Covid."
En effet, si 43% Français ne renoncent pas à leur virée shopping en boutiques et centres commerciaux, même face au risque de contamination, 35% affirment que la pandémie a profondément altérer leur consommation mode.
Pour rappel, après le premier confinement un brin traumatisant de 2020, les Français comptaient réduire leur budget mode de 28% après la pandémie.
Si on a une sortie, un dîner, une occasion un peu spécial, on va avoir de nouveau tendance à se faire jolie, à s’apprêter, mais on ne va plus aller acheter une tenue spécialement pour l’occasion.
"On remarque que les gens retournent faire les magasins, mais plus finalement pour le plaisir de la balade, de flâner, de faire du lèche-vitrines ou juste d’essayer." constate l’experte en tendances, à l’image de cette étude de l’agence Mood qui relève que 35% des amateurs de shopping retournent en boutiques pour son aspect social et convivial. Un retour à la mode dans ce qu’elle a de plus fédérateur finalement, laissant la folie consommatrice de côté.
"Si on a une sortie, un dîner, une occasion un peu spécial, on va avoir de nouveau tendance à se faire jolie, à s’apprêter, mais on ne va plus aller acheter une tenue spécialement pour l’occasion." poursuit-elle.
Et ce n’est pas le retour au bureau en présentiel qui va y changer quoique ce soit, la pandémie ayant sonné le glas du costard et de l’habit formel comme le prouve la faillite de Brooks Brothers ou le redressement judiciaire en France d’Atelier NA.
"Avec la montée en puissance de la mode masculine, qui était déjà en cours avant l'arrivée du coronavirus, "les gens vont commencer à s'habiller pour eux-mêmes, et pas parce que c'est ce qu'on attend d'eux au boulot." commentait David Hart sur BFM TV, prédisant un uniforme de travail plus confortable et moins formel.
En bref, tout le monde veut rester quand même un peu à l’aise dans ses fringues, sans pour autant rester en pyjama, ni dépenser la moitié de son compte en banque. Du moins, pas dans cette catégorie de dépenses.
Acheter, une source d'anxiété
Car avec la pandémie, la mode s’est finalement fait piquer la vedette par d’autres pôles budgétaires tels que l’alimentation, la déco intérieure ou encore les voyages, ces derniers figurant en tête des projets pour 2022.
"Face à ces trois secteurs de consommations, l’habillement n’est plus du tout une priorité aujourd’hui. Même avec le masque que l’on doit encore porter, les gens dépensent plus en maquillage et produits de beauté par exemple, qu’en vêtements." commente Célina, que ce soit pour les amateurs de mode, mais aussi les marques et les créateurs eux-même qui proposent aujourd’hui des collections ultra-réduites, du fait de la crise sanitaire dont les effets sur l’économie se font encore sentir.
"À part au sein des enseignes de la fast-fashion, on remarque qu’il y a très peu de nouveautés dans les rayons et beaucoup moins de choix de ce qu’on pouvait avoir dans un contexte pré-pandémie." décrit-elle.
Et ce n’est pas l’urgence climatique et la démocratisation du débat autour de la mode durable qui va pousser les consommateurs à renouer leur idylle avec la mode.
les gens vont commencer à s'habiller pour eux-mêmes, et pas parce que c'est ce qu'on attend d'eux au boulot.
En France, 38% des consommateurs se disent anxieux en raison des conditions sanitaires et/ou financières, mais aussi environnementales, affirmant que ce sont ces dernières qui ont impacté leur manière de consommer, avec aujourd’hui un léger penchant pour la location au détriment de l’achat.
"Certes, ça a fait du bien de se rhabiller, d’acheter de nouveaux vêtements, mais il y a cette lucidité qu’il faut que ça reste raisonnable et responsable et qu’on ne peut plus acheter de fringues pour un oui ou pour un non comme auparavant." explique l'experte, sur fond de boom record de la seconde main depuis le début de la pandémie, avec une augmentation de 51% en France rien que sur l’année 2021.
"Le marché du prêt-à-porter poursuit l’évolution de son modèle de distribution. Les Français ont revu leur mode de consommation en privilégiant le e-commerce, une tendance qui s’est confirmée en 2021, bien que les contraintes sanitaires aient été allégées." explique Chloé Mayenobe, directrice générale déléguée de Natixis Payments, à l’origine de cette étude.
"L’année 2022 sera un marqueur pour le marché du prêt-à-porter car nous verrons si les nouvelles habitudes de consommation des français vis-à-vis de la mode, achats en ligne et marché de la seconde main, perdurent", conclut-elle.