Elle a débarqué sur les écrans en 2002 et a instantanément conquis la jeunesse du nouveau siècle. "Raven n'est pas une adolescente comme les autres, elle a des visions !" Ce disclaimer estle synopsis de la série Phénomène Raven et annonce que les aventures du personnage principal seront rythmées par ses dons de voyance.
Au fil des intrigues, la jeune fille tente de modifier ou de suivre le cours des événements qu'elle découvre en avant-première dans ses prémonitions.
En quatre saisons, l'écolière américaine a presque tout vu venir... Mais aurait-elle pu prédire que deux décennies plus tard, la pop culture se souviendrait d'elle comme l'un des personnages les plus stylés de l'histoire de la télévision ?
Un personnage inédit chez Disney Channel
Il n'y en a pas deux comme Raven Baxter. Littéralement. Car quand Raven investit les studios de Disney Channel, elle fait office d'ovni alors que la chaîne pour enfants n'a encore jamais attribué de premiers rôles dans une série à une actrice noire.
Alors oui, par le passé, des comédiens noirs avaient déjà décroché le rôle-titre chez Disney, comme le Petit Malin et Jett Jackson. Mais mettre une femme, qui plus est noire, sous le feu des projecteurs, c'était une autre affaire.
Ils ne pouvaient pas vraiment imaginer qu'une fille noire puisse prendre le lead d'une émission
Dans une interview datant de 2020, l'actrice Anneliese van der Pol, qui joue la meilleure amie de Raven dans la série, a déclaré que les producteur-rice-s du show "ne pouvaient pas vraiment imaginer qu'une fille noire puisse prendre le lead d'une émission. Iels ne la voyaient que comme un personnage de second plan."
Raven-Symoné devait à l'origine interpréter le second rôle, ce qui l'aurait fait tomber dans le trope de la meilleure amie noire bien connu du 7e art (coucou Dionne de Clueless, Taylor de High School Musical et toutes les autres).
Phénomène Raven devait initialement s'intituler Absolutely Psychic avant que ses producteur-ice-s déterminent définitivement le casting. En obtenant le rôle, Raven-Symoné est ainsi devenue la plus jeune Afro-américaine de l'histoire à jouer dans une série qui porte son nom.
"À l'époque, il y avait une dimension très racisée chez Disney Channel, avec une série centrée sur une famille noire, une autre sur une famille hispanique et ainsi de suite", analyse Manon Renault, journaliste mode aux Inrocks. "Cela peut se discuter, mais quoi qu'il en soit, Phénomène Raven a donné une représentation nouvelle, celle d'une ado non-blanche."
Cette représentation nouvelle détonne et entre dans tous les foyers français. La raison ? C'est Manon Renault qui la donne : "En France, l’impact est particulier puisque c'est diffusé sur Disney Channel et sur la chaîne nationale France 2. La série est donc visible par un large public, ce qui participe à sa popularisation auprès des adolescent-e-s dans les années 2000."
Rôle modèle générationnel et plus particulièrement pour les enfants racisé-e-s en quête d'identification, Raven Baxter souffle un vent de fraîcheur sur l'audiovisuel de l'époque.
Raven Baxter, une fan de mode pas comme les autres
Comment définir Raven Baxter en quelques mots ? Drôle, franche, enjouée, talentueuse et passionnée. Difficile de ne pas s'attacher à cette personnalité solaire ! S'il y a bien un élément qui la rend unique, outre ses pouvoirs de médium, c'est sa passion viscérale pour la mode.
Elle le dit elle-même : "Je dessinais avant de savoir marcher. Je dessinais d'ailleurs mes propres couches, j'adorais y mettre des guirlandes, des étoiles et même des petites fleurs, histoire de rendre le nécessaire poétique". Bref, la grande sœur de Cory Baxter est née avec des aiguilles de couture dans les mains. Et devient la première héroïne de séries pour ado à être non seulement fan de mode, mais aussi actrice de l'industrie.
Dans sa maison perchée sur les hauteurs de San Francisco, la chambre de Raven Baxter est un réel studio de design. Près de son lit trône une machine à coudre, un mannequin Stockman, une ribambelle d'étoffes et de perles pour embellir ses créations, tandis que les murs sont tapissés de croquis.
Dans la vraie vie, pour évoquer un vêtement, il suffit de remplacer le nom de la pièce par celui de son ou sa designer : un Chanel, des Jimmy Choo... En ce qui concerne les créations signées Raven Baxter, l'héroïne les appelle simplement des "Raven Originals".
Raven n'est pas une "fashion victim", elle est une créatrice et ce n'est pas innocent
"Quand on y repense aujourd'hui, l'apparition de la machine à coudre dans Phénomène Raven est assez révolutionnaire dans le sens où on pourrait penser que cela pousse à la consommation. Or, elle montre en réalité l'importance de la création", commente Manon Renault.
Des jeunes héroïnes stylées, le public en a pourtant connu à cette période. London Tipton (personnage inspiré de Paris Hilton), Hannah Montana, les Winx, les Totally Spies... Mais aucune d'entre elles ne dépassait le stade de simple amoureuse de vêtements.
La journaliste mode aux Inrocks soutient que le personnage interprété par Raven-Symoné "incarne l'envie de fabriquer sa propre garde-robe. Raven n'est pas une "fashion victim", elle est une créatrice et cela n'est pas innocent."
Barbie aura été la première porte d'entrée vers la mode pour une multitude d'enfants sur plusieurs générations. Dans son cas, Raven Baxter a semé dans l'esprit des jeunes des années 2000 que la relation entretenue avec la mode n'est pas à sens unique. Plutôt que d'adopter une posture contemplative, chacun-e peut s'en saisir à sa manière pour en faire ce qu'iel veut.
La garde-robe de Raven Baxter
Phénomène Raven n'est pas une série mode à l'origine, et pourtant. Le dressing de Raven Baxter est tellement riche en couleurs et en looks iconiques qu'il devient un personnage à part entière.
Au sein de son entourage (ses meilleur-e-s ami-e-s Eddie et Chelsea, son copain Devon et ses camarades de classe), seule l'adolescente qui rêve de travailler pour la styliste Donna Carbona sort du lot.
Elle n'a que 14 ans au début de la série et elle possède déjà une garde-robe colossale. Pour autant, aucune trace de vêtements de marques populaires affublés de gros logos : il n'y a de place que pour les pièces siglées "Raven Original". L'autre singularité de la styliste en herbe, c'est qu'elle adore les tenues à thèmes.
La journaliste mode Manon Renault y voit l'influence de l'imagerie artistique des 00's : "Il y avait une culture clip assez importance dans ces années-là au cours desquelles les chanteuses portaient des vêtements thématisés dans chaque scène de leurs vidéos. Quand on pense aux Destiny’s Child, les membres du groupe sont toutes habillées pareil et leurs vêtements vont avec le décor". Le clip de Say My Name sorti en 2000 en est le parfait exemple.
Si la fille de Victor et Tania Baxter change de looks à chaque scène, c'est parce qu'elle doit son vestiaire à une autre figure de la mode, la costumière américaine Nancy Butts-Martin. Lors d'un entretien avec le magazine Teen Vogue en janvier 2023, l'artiste est revenue sur sa manière de confectionner les costumes de Raven Baxter : "Tout était soit acheté, soit conçu par moi, soit loué. Je modifiais généralement les pièces que j'achetais."
D'où le caractère si singulier des tenues de la starlette de Disney Channel. "S'il s'agit d'un simple pantalon, je pouvais vouloir y ajouter une rayure. Nous aimions customiser les habits parce que Raven Baxter, telle qu'elle était, aimait ajouter un peu de panache à tout."
Ce style teinté de "références disco-pop", comme le relève Manon Renault a fait la différence. Dans les boutiques françaises, les jeunes filles de l'époque se pressaient chez Pimkie, Jennyfer, ou Miss Coquine pour trouver des vêtements similaires.
En 2006, une ligne de vêtements pour enfants Phénomène Raven a même été créée et distribuée dans les magasins de grande distribution Walmart au Canada. Preuve du pouvoir prescripteur du personnage télé.
Une fille bien dans son corps qui inspire encore
Au-delà des beaux vêtements qu'elle a le mérite de créer de ses propres mains, le personnage principal de la série diffusée entre 2003 et 2007 a été un rôle modèle pour toute une génération.
Si le seul fait de voir une adolescente noire à la tête d'une série a fait sourire bon nombre d'enfants racisé-e-s, il faut dire que Raven Baxter a aussi été l'une des rares héroïnes de l'époque à aimer ses courbes sans que cela ne soit un sujet.
Loin de nous l'idée de dire que l'actrice Raven-Symoné était grosse ou "plus size", terme qui n'existait d'ailleurs pas encore à l'époque. Mais elle avait suffisamment de formes pour que sa silhouette se démarque de celle des personnages de Lizzie McGuire ou Ren Stevens présentes sur la même chaîne.
Raven Baxter ne s'est pas contenté de montrer l'exemple par le seul fait d'exister. Souvenez-vous : dans un épisode marquant, elle se confronte à une rédactrice en chef d'un magazine de mode qui lui refuse l'accès au podium d'un défilé sous prétexte qu'elle n'a pas "le look". La journaliste mode choisit alors une mannequin blanche et filiforme pour remplacer Raven Baxter, sous-entendu, donc, que le problème est à chercher du côté des mensurations de la jeune fille... Mais cette dernière ne démord pas.
Qui a dit que c'était le seul look qui existait ? Vous filez des complexes à toutes celles qui ne ressemblent pas à ça", balance Raven Baxter. "Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, les gens sont de toutes formes et de toutes tailles et ils sont tous beaux. Mettez ça dans votre magazine !"
Selon Manon Renault, cette critique de l'industrie de la mode rappelle que "la pop culture est politique."
Ce monologue, c'est un peu le discours qu'un-e parent pourrait adresser à un-e enfant mal dans sa peau. Un speech qui s'avère beaucoup plus audible lorsqu'il est articulé par une tierce personne. C'est exactement pour cette raison qu'il est si significatif sorti de la bouche de Raven Baxter.
À coup d'autodérision, de codes visuels forts et de monologues poignants, Raven Baxter a toujours montré l'importance de ne pas céder à la pression sociale pour entrer dans le moule. Deux décennies ans plus tard, ces valeurs ont une résonance particulière alors que le body positivisme et l'inclusion deviennent des questions fondamentales. Et si la génération Phénomène Raven ne conscientisait pas toutes ces problématiques devant son poste de télévision, la génération Z qui s'éprend aujourd'hui de la série désormais diffusée sur Disney+ ne manque pas de le notifier.
D'autant que le look de Raven Baxter est analysé et imité chaque jour par les utilisateur-rice-s de TikTok, pris-es de passion pour la mode des années 00s.
Raven Baxter n'a donc rien à envier à une Carrie Bradshaw, que la culture populaire a déifiée bien qu'elle soit color blind et qu'elle se passionne pour la mode sans la maîtriser techniquement. Plus qu'une inspiration stylistique pour les préadolescent-e-s d'hier et d'aujourd'hui, la médium originaire de San Francisco mérite d'être considérée comme une réelle icône de mode toutes catégories confondues.
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