Juillet 2023. Alors que les températures grimpent dans les rues de la capitale de façon aussi exponentielle que le chiffre affiché sur mon pèse-personne, je prends l’initiative ô combien indispensable de renouveler sa garde-robe estivale en me rendant dans une boutique de seconde main, près du métro République.

Une façon de joindre l’utile à l’agréable en évitant d’exploser le budget shopping de l’été tout en m’astreignant à un mode de consommation jugé plus respectueux de l’environnement.

Résultat des courses ? Un short en jean Levi’s vintage et une chemise hawaïenne à l’imprimé carte postale pile dans la tendance du moment.

Mais alors que je dois dégainer ma CB, la note me semble subitement un peu salée : 80 euros pour seulement ces deux pièces, certes dans l’air du temps, mais de toute évidence usagées, fripées et déjà portées.

En me rendant par la suite dans des enseignes de fast fashion connues pour leur impact néfaste sur la planète, je me rends compte que j’aurais pu acheter des pièces similaires, neuves et jamais portées, avec la possibilité de me faire éventuellement rembourser sous 30 jours pour seulement une cinquantaine d’euros.

De quoi faire réfléchir toute amatrice de mode pour qui l’optimisation du pouvoir d’achat reste le maître-mot de la consommation !

La seconde main, star des petits budgets

Avec la crise apocalyptique sur fond d’inflation indomptable qui mine les morales depuis plusieurs mois, la seconde main est devenue en quelques années l’argument choc de celleux qui veulent réconcilier préservation de la planète, économie dynamique et velléités stylistiques tout en désintoxiquant le monde d’une fast fashion polluante et addictive.

Selon le dernier rapport de thredUP, réalisé en partenariat avec le cabinet d'analyse GlobalData, le marché de l'occasion a augmenté de 28 % en 2022, avec une croissance trois fois plus rapide que celle de l’habillement neuf depuis la crise du Covid. Au sein de l'Hexagone, on estime que la même année, 39 % des Français-es ont acheté des vêtements d’occasion.

Je passe littéralement ma vie sur Vinted ! J’achète, je porte, je me lasse, je revends, j’achète de nouveau. C’est complètement addictif !

Leur motivation principale ? Le prix, qui reste le critère numéro 1 pour 72 % des sondé-e-s contre 38 % qui le font pour des raisons écologiques. Un constat que l’on retrouve a fortiori chez les habitué-e-s des plateformes d’achat et revente en ligne comme Vinted, qui à elle seule captait 70 % des achats mode de seconde main selon une étude de l’Institut Kantar de 2020.

Les jeunes âgé-e-s de 18-24 ans sont plus nombreux-euses encore (55 %) à plébisciter ce mode de consommation alternatif. "Iels sont davantage animés par des valeurs de protection de la planète et des salariés, mais aussi par le sentiment de pouvoir faire des économies et gérer au mieux leur budget,” explique Franck Lehuédé, le directeur d’études au Crédoc.

Or si une simple recherche sur l’appli aux 19 millions d’abonné-e-s français-es suffit à me faire comprendre que j’aurais pu acheter mon short en jean vintage et ma chemise hawaïenne à moindre prix qu’en friperie parisienne, l’idée selon laquelle l’utilisation de ce genre de plateformes permettrait de faire des économies est de plus en plus contestée.

Jeter l’argent par les fenêtres

En effet, selon un rapport de l’ONG Oxfam, si les plateformes digitales ont effectivement permis de démocratiser l’accès et le recours à la mode de seconde main, elles encouragent le renouvellement constant de nos garde-robes et coche toutes les cases de la surconsommation propre aux entreprises fondées sur des mécanismes capitalistes.

En réduisant la culpabilité d’achat des consommateur-rice-s, elles contribuent en effet à les pousser plus que jamais à l’achat, avec la promesse sous-jacente qu’iels font un bon geste pour la planète tout en les rendant accros à une application reprenant les mêmes mécanismes que les réseaux sociaux.

"Je passe littéralement ma vie sur Vinted ! J’achète, je porte, je me lasse, je revends, j’achète de nouveau. C’est complètement addictif !", avoue Amanda, 33 ans, qui sur son compte Tiktok n’hésite pas à distiller ses tips shopping à ses quelque 700 000 abonné-e-s.

"Je dirais que je dépense entre 300 et 400 euros par mois sur la plateforme. Et même si je fais des bonnes affaires, je suis sûre que je ne ferais pas ces dépenses si Vinted n’existait pas", admet celle qui a plus de 400 transactions au compteur.

Et elle n’est pas la seule. En 2019, les acheteur-euse-s de mode qui consommaient de la seconde main en plus du neuf avaient ainsi tendance à acheter davantage que celleux qui achetaient exclusivement du neuf, souligne l’étude Kantar, avec sept actes d'achat en plus par an en moyenne.

Sans parler des frais de livraison et autres frais inattendus appliqués par ces plateformes qui, au dernier moment, viennent faire gonfler l'addition, ou encore des “achats ratés” qui, faute d’échange ou de remboursement possible, engendrent finalement une dépense pour un vêtement ou une paire de chaussures qui restera au fond du placard.

"J’ai arrêté d’acheter sur Vinted car finalement, les vêtements ne m’allaient jamais très bien. C’était trop grand ou trop petit ou peu flatteur… Je finissais donc par dépenser 20 euros par-ci ou 15 euros par-là pour rien", commente Camille, qui se contente de vendre sur la plateforme les pièces de son dressing dont elle ne veut plus.

Et c’est d’ailleurs ici que le bât blesse : 70 % des utilisateur-ice-s de plateformes de seconde main y ont recours dans le seul but d’augmenter leur pouvoir d’achat sur le marché de la première main, selon une étude du cabinet Boston Consulting Group relayée par le site Pubosphère.

Quant aux marques et marketplace de type Zalando qui proposent désormais une section seconde main sur leurs sites et dans leurs boutiques, elles incitent les acheteur-euse-s compulsifs à acquérir plus de vêtements pour le même montant, si ce n'est plus, sous le prétexte qu’ils ou elles auront fait une bonne affaire.

Selon le rapport de GlobalData, les détaillants se lancent dans la seconde main avant tout pour attirer davantage de client-e-s, se revendiquer plus écoresponsables, et surtout, augmenter leurs revenus.

Les plus démunis laissés sur le carreau

Si la seconde main telle qu’elle se démocratise aujourd’hui en ligne permet un tant soit peu de booster notre pouvoir d’achat, elle ne bénéficie finalement qu’à une certaine partie de la population : celle qui en a les moyens.

En effet, comme l’a fait remarquer l’association Emmaüs au détour d’une campagne de sensibilisation marquante, la seconde main contribue à tuer l’économie du don : ce qui était offert auparavant aux plus démuni-e-s est aujourd’hui vendu pour quelques euros sur Vinted, au détriment de la solidarité et de celleux qui n’ont même pas 1 euros à mettre dans un pull ou une paire de chaussures.

Si tu ne le portes pas, donne-le

“Hier, nous avons infiltré la plateforme Vinted pour l’utiliser comme un média en créant de fausses annonces dans lesquelles les vêtements véhiculent notre message d’appel au don : "Si tu ne le portes pas, donne-le", clamait un tweet d'Emmaüs en mars 2023.

Pas sûre que l’opinion publique puisse entendre ce cri d’alarme.