Pourquoi l'océan est-il devenu l'inspiration mode par excellence ?

"Nous traversons actuellement un contexte anxiogène émaillé de multiples crises et de guerres", explique Sébastien Renault, directeur artistique expert en tendance de Fashion & Trend Consulting.

"Avec le Covid, on a découvert le besoin de se reconnecter à la nature en marchant pieds nus ou en touchant les arbres. Le même phénomène se produit désormais avec les océans et répond au besoin de ralentir, d'écouter son corps." On ne compte plus ainsi les nouveaux traitements issus de la grande bleue, entre la "surf therapy" et l'"ocean therapy" qui soignent les insomnies ou le stress.

Surtout, les territoires sous-marins demeurent des mondes mystérieux où tout reste à explorer. Imaginez qu'à l'heure actuelle, seuls quatre hommes ont plongé à plus de 10 000 mètres de profondeur, dans la fosse des Mariannes, alors que douze sont déjà allés sur la Lune, or il resterait encore 90 % d'espèces marines inconnues à découvrir. Vertigineux...

"Aujourd'hui, les mondes sous-marins ne font pas seulement rêver les scientifiques"

"Aujourd'hui, les mondes sous-marins ne font pas seulement rêver les scientifiques" poursuit Sébastien Renault.

"Le mouvement de fond de l'écoresponsabilité nous a fait prendre conscience de l'urgence à sauvegarder la planète mais a oublié au passage de nous sensibiliser à la beauté de la nature. C'est ce qui se joue dans cette seconde phase à travers des films, des expositions, la mode ou l'intelligence artificielle." 

Ainsi, à côté des documentaires à l'esthétique ultra-léchée, comme Soul of the Ocean de Howard Hall et ses créatures naturellement fabuleuses, Hollywood n'en finit pas de nous plonger au fond des mers. Après Avatar 2 de James Cameron, premier opus sous-marin en 3D devenu le troisième long métrage au box-office mondial, La Petite Sirène de Walt Disney est de retour.

Ce film en live action controversé -pour le choix de son héroïne, l'actrice afro-américaine Halle Bailey- qu'attendu fera-t-il encore fantasmer des générations de petites filles avec ses chansons d'amour et son esthétique glitter ?

"Grâce à l'intelligence artificielle et au digital, les univers sous-marins sont dépeints avec une esthétique pop. Leurs couleurs sont exagérées par ordinateur, loin de l'univers sombre et inquiétant des abysses" précise Sébastien Renault. "D'ailleurs, même la faune qui hier semblait effrayante est devenue bienveillante dans la fiction, comme s'il fallait absolument réconcilier l'homme et la nature."

L'art aussi investit cet univers propice à l'imagination et aux hybridations. C'est le cas avec l'artiste numérique espagnol David Padilla qui manipule des images d'organismes sous-marins tels ces oursins remplis de pierres précieuses ou de la Japonaise Azuma Makoto, qui a composé en mai 2022 une sculpture botanique à partir de mille fleurs multicolores dans les eaux turquoise de l'île Ishigaki. 

"Grâce à l'intelligence artificielle et au digital, les univers sous-marins sont dépeints avec une esthétique pop"

On peut également citer le dernier film de la créatrice Iris van Herpen, qui accompagnait sa collection haute couture printemps-été 2023 et où l'on voyait la danseuse, chorégraphe, cinéaste sous-marine et apnéiste française Julie Gautier hurler sous l'eau. Un geste de soutien aux femmes iraniennes privées de droits et de liberté d'expression.

Car voilà, cette saison, la mode a voulu ramener sur terre l'esprit de ces beautés cachées aux fonds des mers.

Dans la campagne Blumarine, la photographe Petra Collins célébrait quant à elle la sororité des sirènes, ces créatures mi-femme mi-poisson qui incarnent, à travers le phénomène #mermaidcore, une vision puissante – et dangereuse – de la féminité. Dans la Grèce antique ou les pays Scandinaves, ces naïades attiraient les hommes pour les tuer.

Silhouettes fluides aux jupes longues taille basse, soutiens-gorges coquillages chez Germanier, robes façon filet de pêche et secondes peaux en paillettes argent ou sequins chez Ludovic de Saint Sernin... Libre, sensuelle, les cheveux mouillés et la peau irisée (deux tendances beauté de l'été), la femme idéale est définitivement à chercher du côté des océans.

"L'eau dans tous ses états était une grande source d'inspiration du printemps-été 2023 car elle est un modèle de fluidité, un concept très important dans la mode aujourd'hui", confirme Desolina Suter, directrice mode chez Première Vision.

"Ainsi la palette de couleurs associait les bleu turquoise ou cobalt à des roses ou des chairs plus « humains ». Les aspects des tissus sont aquatiques, avec des unis glacés, humides, des cuirs laqués, vernis," poursuit-elle.

"Les mailles "filaments" coulantes et confortables dessinent des corps de sirènes, et les reflets transparents et irisés imitent les jeux de lumières sur l'eau." N'en jetez plus !

Mais qu'en est-il de ces désirs de mimétisme lorsqu'un récent rapport de plusieurs ONG* révèle que les textiles synthétiques comme le polyester, l'acrylique et l'élasthanne sont de loin les premiers contributeurs à la présence de microplastiques dans les océans avec 35 % des rejets ?

Cette utopie sous-marine, justement, n'en devient que plus urgente et force l'industrie textile à plancher sur le sujet en utilisant parfois même ses propres ressources comme des polyesters recyclés à partir de déchets marins, ou encore des algues utilisées pour fabriquer de la teinture noire... Mais aussi des initiatives de sensibilisation à la préservation des océans.

Du 5 avril au 28 mai dernier, les Galeries Lafayette Haussmann mettaient en place, pour leur exposition "Méditerranée Mania" (voyage sur les rivages de son précieux artisanat), l'opération "l'arrondi en caisse" au profit de la Fondation de la Mer.

"C'est à terre qu'il faut agir car tout ce qui est jeté finit dans la mer"

Une manière de rappeler, comme l'explique sa présidente Sabine Roux de Bézieux, que la Méditerranée, "berceau de notre civilisation, abrite à elle seule 25 % de la biodiversité marine avec plus de dix mille espèces connues. Pourtant elle est l'une des mers les plus polluées au monde avec une concentration en plastique accumulé estimée à 1,2 million de tonnes".

Il est donc urgent de lutter contre la dégradation du milieu marin, et notamment des posidonies, ces forêts qui lui servent d'habitat, en replantant par exemple des herbiers. Mais Sabine Roux de Bézieux est catégorique : "C'est à terre qu'il faut agir car tout ce qui est jeté finit dans la mer. " Tout un programme à suivre dès cet été en jouant, par exemple, les sirènes écolos...

(*) Adressé à la Commission européenne en avril 2023 par les ONG PlanetCare, A Plastic Planet, Matter, 5 Gyres Institute et Xeros Technologies. Consultable sur microplasticsolutions.org