Dans un article du Parisien, Patrick Moura­toglou, le coach de Serena Williams, alerte sur la crise que traverse le tennis.

Celle-­ci n'est pas seulement le fait de la pandémie qui interrompt à l'époque les tournois et plonge beaucoup de joueur·ses dans des difficultés finan­cières, révélant les disparités de reve­nus.

Pour lui, derrière la belle façade constituée par les trois meilleurs joueurs de l'histoire du tennis (Rafael Nadal, Roger Federer et Novak Djokovic) se cache un problème bien plus profond : le vieillissement d'un sport qui n'arrive plus à séduire de nouvelles générations et doit faire sa mue.

Quelques mois plus tard, les dieux du court semblent l'avoir entendu : en juin 2022, quarante-­deux millions de Français·es sont scotché·es à leur écran pour suivre Roland­ Garros – soit 70 % de la population hexago­nale – dont 4,6 millions pour la seule finale entre Rafael Nadal et Casper Ruud... Le meilleur chiffre d'audience depuis 2012.

Côté pratique, le deuxième sport le plus pratiqué dans l'Hexagone après le football a également franchi un cap symbolique : celui du million de licencié·es annoncé par la Fédération Française de Tennis en février dernier.

Et cet engouement pour la balle jaune n'est pas près de s'arrêter... La preuve ? Netflix monte au filet avec Break Point, dont la saison 2 sortira en juin prochain. Surfant sur le succès de Formula, consa­crée à la F1, la série documentaire accompagne le quotidien d'une jeune génération de talents (Aurélie Garcia, Félix Auger­Aliassime...) sur des tour­nois mythiques mondiaux.

On considère toujours [le tennis] comme un sport réservé à une élite alors qu'il est très populaire et réalise des audiences énormes. - 

Quant à l'été, il vibrera dès le mois d'août au rythme de Challengers, un drame romantique sur fond de courts signé Luca Guadagnino (Call Me by Your Name...) avec Zendaya en tête d'affiche dans le rôle d'une coach de tennis. Les costumes confiés à l'Irlandais Jonathan Anderson, l'un des créateurs les plus pointus du moment, mettent déjà la mode en émoi.

Car sur les podiums du printemps­été 2023 aussi, le ves­tiaire preppy – le sportswear chic né dans les universités américaines de la côte Est – a remis les jupettes et les chaussettes blanches, les pulls à écus­son et les Stan Smith au centre du désir, à l'image de la collection tennis lan­cée par Hedi Slimane pour Celine au charme délicieusement rétro.

Pourquoi tout le monde veut s'habiller comme s'il jouait au tennis ?

" Ce qui est intéressant avec le tennis, c'est qu'il véhicule des contradictions. On le considère toujours comme un sport réservé à une élite alors qu'il est très populaire et réalise des audiences énormes, analyse Thomas Zylberman, styliste tendanceur du bureau de style Carlin. Il est aussi l'un des rares sports où les joueuses sont aussi starisées que leurs homologues masculins et cultivent de fortes personnalités, et c'est sans doute ce qui fascine aujourd'hui. "

Même si ces dernières doivent encore se battre pour faire évoluer des codes très rigides : Wimbledon, le tournoi le plus conserva­teur du circuit – le blanc y était imposé jusque dans les sous­-vêtements – vient enfin de les autoriser à porter des « shorties » de couleur pour éviter du stress en période de règles...

Parmi ces stars de la raquette : les sœurs Williams, qui ont eu droit en 2021 à leur biopic La Méthode Williams et ont fait du court à la fois un terrain de performances phy­siques, de prises de position politiques (féministes et antiracistes) et de style excentrique.

On se souvient de la mini­-robe en dentelle noire et du shorty string transparent de Venus à Roland­Garros en 2010 ou de la combinaison noire de Serena sur le même tournoi en 2018 qui avait fait polémique – en fait, un modèle conçu pour soulager ses pro­blèmes de circulation sanguine suite à son accouchement.

"Pour de plus en plus de joueuses, le vêtement est devenu un moyen d'expression, explique Marie-­Laure Gutton, responsable des collec­tions accessoires du Palais Galliera et commissaire scientifique de l'exposition La mode en mouvement qui se tient au Palais Galliera. Une nouvelle génération a fait bouger les lignes en peu de temps, qu'il s'agisse de démocratiser la discipline ou de la rendre plus inclusive."

Et bien sûr, plus glamour. C'est d'ail­leurs dans le september issue de Vogue États­-Unis que Serena Williams, muse de feu Virgil Abloh, a annoncé en 2022 la fin de sa carrière pro de vingt­-sept ans (vingt-­trois titres en Grand Chelem) en jouant les « cover­girls » avec sa fille Olympia.

Longtemps boudées par la mode, les pros de la raquette en sont devenues les meil­leures ambassadrices.

Ainsi de Venus Williams, nouveau visage de Lacoste, de la prodige britannique Emma Raducanu (gagnante de l'US Open 2021) à l'affiche de la dernière cam­pagne du sac Lady 95.22 de Dior, ou encore de Naomi Osaka, égérie Louis Vuitton depuis 2020, qui vient de révé­ler son baby bump sur son Instagram (2,7 millions d'abonné·es).

Mais aujourd'hui c'est aussi dans la rue que se retrouve l'esprit tennis. 

Le tennis, un style au chic intemporel

Lancés par Miu Miu pour l'automne­-hi­ver 2022, la jupe plissée et le polo blancs sont devenus les icônes du tennis­core, tendance au succès phénomé­nal sur TikTok qui est venue appor­ter une version sportive à l'esthétique #oldmoney, dernière lubie vintage de la génération Y : un chic aristo british en tweed, robes de cocktail, uniformes d'étudiante et parties de raquettes.

"Ce qui est amusant avec ce retour de l'esthétique tennis, c'est son côté nostalgique, poursuit Thomas Zylberman. Alors que ses vêtements sont de plus en plus techniques, les créateurs restent fascinés par son côté rétro, voire rétrograde." Et son image de chic intemporel.

Les codifications vestimentaires fortes ont été imposées par les Anglais et règnent encore. - Marie-­Laure Gutto

Car même s'il s'est démocratisé, le tennis demeure attaché à l'image d'un "sport de riches" pratiqué dans des clubs aux règles encore très strictes.

"Les codifications vestimentaires fortes ont été imposées par les Anglais et règnent encore, notamment à Wimbledon, qui a inscrit l'obligation de porter du blanc dans son règlement en 1963, poursuit Marie-­Laure Gutton. Mais dès les débuts, à la fin du xixe siècle, les joueurs portent déjà cette couleur réservée, à l'époque, aux loisirs d'extérieur - elle rend invisible les traces de transpiration - et donc aux classes sociales privilégiées."

Sur les courts, les jupes droites à larges plis, les cardigans en maille inventent des basiques fonction­nels et dessinent la silhouette de la femme moderne.

"Un costume de tennis qui est extraordinairement chic par la liberté, la pertinence et l'excellence de ses lignes simples..." : c'est ainsi que Vogue décrit en 1926 la tenue réalisée par Jean Patou pour Suzanne Lenglen.

Sans doute, le retour de la mini-jupe plissée blanche vient-­il remettre au goût du jour cet idéal émancipateur et cette image d'une féminité puissante.

En finir avec l'aura élitiste du style preppy ?

Ce printemps-­été, l'inspiration est au style preppy des années 90. Pensez Lady Di en minirobe bleu pâle, cardigan rose pastel, perles aux oreilles et brushing jouant avec Steffi Graf.

La marque californienne basée à Paris Sporty & Rich assume cet héritage de chic athlétique et bourgeois. Parmi ses influences, on peut citer "le passé, les couleurs vives, (...) les salles de gym des années 90, (...) et les clubs de tennis", écrit la fondatrice Emily Oberg.

Cette saison, le label propose une collection capsule avec l'équipementier américain Prince, où les survêtements à bande lavande côtoient les mini-shorts en velours éponge ou les sweats moelleux crème. Un esprit que l'on retrouve aussi chez Tennis Time Vintage ou encore Recreational Habits.

De nouvelles marques qui remettent au goût du jour le sportswear chic américain version génération Y, avec des coupes plus sexy (le polo crop top) et un discours plus inclusif.

Toutes les personnes, quelle que soit leur couleur, devraient pouvoir découvrir les joies du tennis, de l'équitation ou du golf. - Jackie Skye Muller et Marlon Muller

Couple mixte, Jackie Skye Muller et Marlon Muller ont ainsi créé Recreational Habits pour apporter "le monde exclusif de l'élite preppy et de ses loisirs aux personnes qui en étaient exclues. Toutes les personnes, quelle que soit leur couleur, devraient pouvoir découvrir les joies du tennis, de l'équitation ou du golf".

On jouera aussi la carte démocratique et de proximité en se précipitant sur la collection de Jonathan Anderson pour Uniqlo, qui revisite les vêtements de sport tradi des universités anglo ­ saxonnes – l'enseigne vient aussi de lan­cer Around the world with Roger Federer, une série d'évènements édu­catifs autour de l'art, du tennis et de la culture. 

En attendant de retrouver ses cos­tumes sur Zendaya dans Challengers, pourquoi ne pas réviser ses classiques avec Match Point, le film de Woody Allen (2005). Un double amoureux dont l'esthétique sublime et les répliques tor­rides n'ont pas fini de troubler l'univers pas si lisse de la raquette.